« I can’t breathe »
Eric Garner, un Afro-Américain de 43 ans, est tué par strangulation en juillet 2014, par des policiers, à Staten Island. Dans une vidéo de la scène, on l’entendait répéter « I can’t breathe », soit, « Je ne peux pas respirer ». George Floyd, un Afro-Américain de 46 ans, est tué par asphyxie, le 25 mai 2020, à Minneapolis (Minnesota), après qu’un policier a maintenu le genou sur son cou pendant 8 minutes 46 secondes. Il répétait, lui aussi, « I can’t breathe ». Depuis, des manifestations contre le racisme et les violences policières se sont répandues à travers les Etats-Unis et dans le monde. Les mots d’ordre ? Black Lives Matter.
Le 17 juillet 2014, Eric Garner, un Afro-Américain de 43 ans est violemment plaqué au sol par des policiers dans un quartier de Staten Island, un arrondissement de New York. On le soupçonne de vendre des cigarettes de contrebande. Il refuse d’être interpelé et explique aux policiers qu’ils font erreur. Il n’est pas armé et pourtant l’un des policiers va lui faire une prise d’étranglement, interdite par la police de New York (NYPD) depuis 1993. Eric Garner est grand, il est en surpoids et asthmatique, il tombe au sol et répétera plusieurs fois « I can’t breathe », autrement dit « Je ne peux pas respirer ». Il perd connaissance, et est finalement conduit à l’hôpital où il sera déclaré mort. Le médecin légiste conclut à un homicide auquel la strangulation a contribué. Pourtant, le policier n’a pas été poursuivi en justice et ce n’est que 5 ans plus tard, en 2019, qu’il sera finalement renvoyé de la NYPD. Au moment des faits, des images de l’interpellation d’Eric Garner sont filmées et mises en ligne. Elles feront le tour du monde, et les mots « I can’t breathe » deviendront le symbole des violences policières contre les Noirs aux Etats-Unis. Frank Serpico, un policier derrière l’un des plus grands scandales de la NYPD, dans les années 1960, (il avait dénoncé la corruption qui sévissait dans la police new-yorkaise), a déclaré dans une interview accordée au Daily News « Incidents like Eric Garner’s death drive wedge between police and society ». Outre ce fossé qui se créé entre la police et la société, Frank Serpico expliquait également à nos confrères du site de la version américaine d’Al Jazeera « The police should reflect the society they’re policing. » Et si c’était déjà le cas ? Serpico parlait d’une police plus représentative de la société mais on peut se demander si certains membres de la police ne reflètent pas déjà la partie de la société américaine raciste et haineuse à l’égard de la communauté Afro-Américaine.
#BlackLivesMatter
La mort d’Eric Garner et de Michael Brown (je vous conseille de regarder le documentaire « Whose streets ? » de Sabaah Folayan et Damon Davis) ont été des affaires emblématiques du mouvement #BlackLivesMatter (Les vies des Noirs comptent). Pour rappel, ce mouvement voit le jour en 2013, sur Twitter, suite à l’acquittement du meurtrier de Trayvon Martin, un Afro-Américain de 17 ans tué par George Zimmerman, un ancien veilleur de nuit. Ce dernier avait déclaré avoir agi dans un contexte de légitime défense, alors que l’adolescent n’était pas armé… L’ancien veilleur de nuit est poursuivi en justice pour meurtre au second degré (sans préméditation) mais sera acquitté car il était, selon les membres du jury, impossible de prouver sa culpabilité. C’est d’ailleurs ce qu’avait confirmé l’un d’eux dans une interview accordée à l’émission Good Morning America, sur la chaîne ABC, en ajoutant qu’il estimait George Zimmerman « coupable ». Barak Obama avait déclaré à l’époque « Il y a 35 ans, j’aurais pu être Trayvon Martin ». Le but du mouvement #BlackLivesMatter est de militer contre le racisme systémique envers les Noirs en se mobilisant contre les violences mortelles qui leur sont infligées par des policiers blancs. Ce mouvement se veut aussi être un moyen de faire entendre les voix de la communauté afro-américaine aux Etats-Unis, en dénonçant, entre autres, les violences policières, le profilage racial, mais aussi les inégalités raciales dans le système judiciaire américain. Aux Etats-Unis, selon le site Mapping Police Violence, on peut lire qu’en 2019, il y a eu seulement 27 jours sans que la police ne tue quelqu’un. On peut également découvrir, sans surprise, que les Noirs sont plus susceptibles d’être tués. Ainsi, un Noir a approximativement trois fois plus de (mal)chance qu’un Blanc d’être tué par la police. On apprend aussi que dans 99% des cas où la police a tué une personne entre 2013 et 2019, les charges contre les policiers mis en cause n’ont pas été retenues. Enfin, selon, le site killedbypolice.net, la police a tué 1004 personnes en 2019 dont 24% étaient des Afro-Américains, alors que cette communauté ne représente que 13% de la population américaine…
« Please, I can’t breathe »
Le 25 mai 2020, George Floyd, 46 ans meurt par asphyxie lors de son interpellation par un policier blanc. On est à Minneapolis, dans le Minnesota, aux Etats-Unis. George Floyd est dans sa voiture lorsqu’il se fait interpeller par 4 policiers dont Derek Chauvin. Précisons que George Floyd est un homme noir, qu’il n’est pas armé mais qu’il sera menotté, puis plaqué au sol sur le ventre. Il n’est pas violent, et pourtant Derek Chauvin l’immobilisera dans cette position, en faisant pression avec son genou sur son cou pendant… 8 minutes 46 secondes. Comme Eric Garner, en 2014, George Floyd répétera plusieurs fois qu’il ne peut pas respirer, il suppliera même le policier et dira « I’m gonna die »… Il aura malheureusement raison. Des passants filment la scène et demandent jusqu’à quand compte-t-il l’immobiliser ainsi. Trois autres policiers veillent à ce qu’aucun des passants ne puisse s’approcher. George Floyd agonise, du sang coule de sa bouche, il ne respire plus. Une passante demande à ce que son pouls soit pris. Un policier daigne finalement appeler les secours, en précisant « code 3 », à savoir, l’assistance médicale d’urgence. Pourtant Derek Chauvin continuera de faire pression sur le cou de George Floyd et ce, malgré l’appel aux urgences. L’homme de 46 ans sera déclaré mort à son arrivée à l’hôpital et deux autopsies concluront à un homicide. Selon la première version de la police, avant que les vidéos filmées de la scène ne viennent les contredire, George Floyd aurait eu une altercation avec les policiers et se serait montré violent après qu’il soit sorti de son véhicule. Pour pousser le bouchon jusqu’au bout, la police a affirmé qu’il serait tombé intentionnellement et qu’il était encore debout quand il a commencé à dire qu’il ne pouvait plus respirer. Sans les vidéos qui contredisent clairement la version policière, le meurtre de George Floyd n’aurait peut-être jamais été puni… Les images se sont propagées sur les réseaux sociaux comme un feu de poudre puis dans les médias du monde entier. Les quatre policiers impliqués dans la mort de George Floyd sont limogés le lendemain des faits. Derek Chauvin est d’abord arrêté puis placé en garde à vue pour meurtre au troisième degré et homicide involontaire, sans intention de donner la mort donc. Un comble quand on regarde les images de la douloureuse agonie de Floyd. Le procureur général du Minnesota, Keith Ellison requalifiera finalement, le 3 juin dernier, les faits en meurtre au second degré, soit sans préméditation, et les trois autres policiers seront inculpés pour complicité et aide. Sans les manifestations à travers le monde demandant #JusticeForGeorgeFloyd, l’issue n’aurait probablement pas été la même puisque comme nous l’avancions, plus haut, dans 99% des cas où la police a tué une personne, entre 2013 et 2019, les charges contre les policiers mis en cause n’avaient pas été retenues. Mais que nous disent ces meurtres sur la société américaine ? Est-elle profondément raciste à l’égard de la communauté afro-américaine ? Les violences policières envers les Noirs ont-elles augmenté ?
La prochaine fois, le feu
James Baldwin est un écrivain noir américain considéré comme l’un des plus grands de sa génération. Il naît dans le quartier d’Harlem en 1924 et est connu pour des romans, nouvelles et essais comme Face à l’homme blanc ; La prochaine, fois le feu ou encore Nous, les Nègres et Le racisme en question. La préface de la dernière réédition de son livre a été écrite par Christiane Taubira, ex-garde des Sceaux, victime elle aussi du racisme et de la haine qui rongent nos sociétés. Elle écrit « Notre monde inégalitaire se donne à voir, sans pudibonderie. Il est injuste et le montre. Il est violent et l’assume. Il est parfois honni et s’en rit. » Elle se demande en quoi les écrits de James Baldwin nous sont contemporains ? Et répond « Baldwin nous est contemporain. Par sa personne lorsqu’il dénie à tout autre que l’autorité de définir son identité ». C’est d’ailleurs ce que l’on retrouve dans les propos d’Assa Traoré qui se bat pour obtenir #JusticepourAdama, son frère mort aux mains des gendarmes de Persan, il y a maintenant 4 ans. Assa Traoré déclare, à raison, « Nous avons le droit de participer à la construction de ce monde, de cette France, de nos propres vies. Ils n’ont pas de droit de mort sur nous. » Baldwin dans une lettre écrite à son neveu, qui s’appelle également James, lui rappelle « Tu ne seras détruit que le jour où tu croiras vraiment être ce que les Blancs appellent un ‘nigger’ ». Aujourd’hui certains se disent surpris par la montée des violences policières aux Etats-Unis et en France, pourtant elles ont toujours existé, c’est juste qu’elles n’étaient pas forcément filmées. Certains politiques, dont Eric Ciotti (Les Républicains) ont même rédigé un projet de loi visant à interdir cette action dans l’Hexagone. Alors que ce sont ces vidéos qui ont permis de mettre en lumière ce qu’il se passe dans notre pays et ce sont elles aussi qui, outre-Atlantique, ont, entre autres, permis de contredire la version des faits avancée par la police dans le meurtre de George Floyd. James Baldwin parle de « monde sans amour » mais je pense sincèrement que si l’amour, la solidarité et la bienveillance avaient vraiment quitté notre monde, personne ne se serait soulevé pour George Floyd et personne ne serait allé aux manifestations pour demander #JusticepourAdama. Nous devons avancer main dans la main, unir nos voix et nos forces pour demander justice, pour demander que ces violences cessent. Nous devons nous unir pour créer le dialogue, pour faire entendre nos plaintes pour qu’il n’y ait, un jour, plus d’Adama Traoré, plus de George Floyd et plus de larmes qui coulent suite à la mort d’un proche injustement arraché à la vie.
« Quand un Blanc est confronté avec un Noir, en particulier si le Noir est sans défense, de terribles choses se font jour. »
James Baldwin
Baldwin va au point de fracture et annonce la possible rupture, préjudiciable à tous, entre « dominants et exclus » et il a raison. Où cette haine nous mènera-t-elle ? Selon lui, aux Etats-Unis, « Les Blancs de [mon] pays auront bien assez à faire à apprendre à s’accepter et à s’aimer eux-mêmes et les uns les autres, et lorsqu’ils auront accompli cela — et ce jour n’est pas proche et n’arrivera peut-être jamais — le problème noir n’existera plus parce qu’il n’aura plus de raison d’être. » Sache d’où tu viens, car quand on sait d’où l’on vient « il n’y a pas de limite à là où tu peux aller. » et « Tâche, s’il te plaît, de te souvenir que ce qu’ils croient, de même que ce qu’ils font et t’obligent à supporter ne porte pas témoignage de ton infériorité mais de leur cruauté et de leur peur. » Rayshard Brooks, un Afro-Américain est mort aux mains de la police d’Atlanta il y a quelques jours, tué de trois balles dans le dos. Breonna Taylor est morte tuée à son domicile par des policiers de Louisville en mars dernier… Aux Etats-Unis, la vidéo d’une petite fille noire qui met les mains en l’air en voyant une voiture de police a fait le tour de la toile. Est-ce normal qu’une enfant ait intégré le fait que quand on est noir et qu’on voit la police, cela peut mal finir ? Et certains passages du livre de Baldwin nous rappellent tristement l’actualité avec le meurtre de Ahmaud Arbery, le 23 février 2020. James Baldwin écrit « Quand un Blanc est confronté avec un Noir, en particulier si le Noir est sans défense, de terribles choses se font jour. » Ahmaud Arbery, un Afro-Américain de 25 ans, non armé, courrait dans le lotissement de Satilla Shores, à Brunswick, en Géorgie, chose tout à fait normale quand on effectue son jogging. Gregory McMichael, un policier blanc à la retraite et son fils Travis, voyant le jeune homme courir, arrêtent leur pick-up. Le fils, fusil à la main, interpèle violemment Ahmaud et une dispute éclate. Trois coups de fusil partent, Ahmaud tentera de s’éloigner mais il s’effondrera sous l’impact des balles. Lors de leurs auditions, les deux hommes expliqueront avoir pris Ahmaud Arbery pour un cambrioleur. Le procureur décide, au moment des faits, de ne pas les arrêter considérant leurs explications comme convaincantes. Puis, 74 jours plus tard, après que la vidéo de l’assassinat d’Ahmaud ait été rendue publique sur internet, que des protestations aient eues lieu, les deux hommes sont finalement interpelés et mis en examen pour meurtre. Jusqu’à quand des hommes et des femmes mourront sous les balles à cause de leur couleur de peau ? Jusqu’à quand des familles pleureront leurs morts, victimes du racisme de plus en plus décomplexé ? Jusqu’à quand certains se verront refuser ne serait-ce que du travail parce qu’ils sont noirs ? Baldwin explique au sujet des possibilités de gravir l’échelle sociale, qu’à son époque « Il n’était pas question de nous tirer d’où nous étions par le travail et l’épargne de quelques sous. Le travail ne nous permettrait jamais d’acquérir suffisamment de ces sous et de plus, la façon dont la société traitait même ceux des nôtres qui avaient le mieux réussi prouvait que pour être libre il fallait bien davantage qu’un compte en banque. Et quelques pages plus loin, il avoue « Bien conditionné par le monde dans lequel j’avais grandi, je n’osais pas encore considérer sérieusement l’idée de devenir écrivain. » Enough is enough.
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Whose Streets ? : Le documentaire choc sur Ferguson
Sources :
Baldwin, James. La prochaine fois, le feu. Collection Folio. Editions Gallimard, Barcelone, 2019. 144 pages.