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Episode 1 : La haine.

On est dimanche 19 avril, il est 7h du matin. Je n’ai pas dormi de la nuit. Non, je bouillonne. Je pense à toute cette violence, toute cette haine, tout ce racisme. Un homme a la jambe en sale état et ceux censés nous protéger y sont pour quelque chose…

J’hésite à écrire. Je me demande si c’est une bonne idée d’écrire quand on est aussi contrariée, de réagir à chaud. J’écris quand même. Mes doigts glissent sur les lettres de mon clavier et plus je tape, plus mes dents se serrent, plus ma gorge se noue. Oui, je ressens de la haine, de la peine et c’est la même rengaine. Je regarde une vidéo. À Villeneuve-la-Garenne, un homme est au sol. On pourrait croire qu’il a perdu sa jambe, en tout cas c’est l’illusion d’optique que donne l’angle de prise de vue de la vidéo. Je ne comprends pas, alors je la regarde encore et encore. Plus je la regarde, moins je comprends. Alors, je lis des commentaires… Sûrement beaucoup trop sur Twitter, a.k.a les bas-fonds virtuels de nos sociétés. Je ne pense pas à faire de captures d’écran, je suis trop dégoutée par ce que je lis. De la haine. Envie de vomir. Je lis des commentaires comme « S’il n’était pas sorti, il aurait encore sa jambe ». Certes. Sortir, qui plus est en période de confinement, en moto et peut-être sans casque, n’était pas l’idée du siècle. Mais est-ce que ça justifie d’être blessé ? Est-ce que ça justifie la violence ? N’en déplaisent à certains la réponse est non. L’histoire qui tourne sur les réseaux, c’est qu’il roulait en moto à vive allure et que le portière d’une voiture de police banalisée s’est ouverte comme par magie. La suite, c’est qu’il est à terre et qu’un policier semble lui faire un garrot. Et si ça avait été plus grave ? Et si la chute avait été fatale ? Ça aurait été un mort de plus sur la longue liste déjà noircie du nom des victimes de violences policières. Je pense, pour ne citer qu’eux et Dieu sait que je n’oublie pas les autres, à Adama Traoré, à Zyed et Bouna, à Malik Oussekine, à tous ceux qui nous ont brutalement quittés, victime de la haine et de la bêtise de ceux censés nous protéger. 

« Ah ouais, et qui nous protège de vous ? » 

Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai regardé La Haine de Matthieu Kassovitz. J’ai un passage qui m’est resté en tête quand Samir, le policier qui veut montrer une bonne image de la profession et pousser les jeunes vers le droit chemin, dit à Hubert « La majorité des flics dans la rue, ils sont pas là pour vous taper, ils sont là pour vous protéger ! ». Et Hubert de répondre « Ah ouais, et qui nous protège de vous ? » Ce qui est intéressant dans ces répliques, c’est qu’on a deux visions, celle d’un policier et celle d’une jeunesse. Mon but à travers cet article n’est pas de dire que toutes les forces de l’ordre sont gangrenées par la haine. Bien sûr qu’il y a du bon et du mauvais partout comme on aime à le dire mais ce que je veux tenter de vous faire entrevoir aujourd’hui c’est qu’il y a beaucoup trop de mauvais. Beaucoup trop de propos racistes, beaucoup trop de violences, un sentiment de se croire tout permis, de se sentir pousser des ailes parce qu’on porte un uniforme et cette humiliation qui ne cesse pas. La première fois que j’ai eu un contact avec la police, c’est en 2014, à Nice. On est à la gare avec ma cousine, on fait la queue pour s’acheter des billets de trains Il fait beau, on attend notre tour tranquillement, on rigole, on se fait notre planning de la journée, les visites qu’on a prévues… Certains y verront de la victimisation alors que je considère ça comme une réalité. Ma cousine est voilée et je pense et suis convaincue que ce détail a été la raison de notre contrôle. C’est bientôt notre tour, ça doit faire une bonne demi-heure qu’on attend. Là, sortis de nulle part, deux mecs en civil nous font face. « Contrôle d’identité ». Je pense à une mauvaise blague, ils ne nous ont pas montré leurs insignes alors je leur demande. Ok, en effet, ce sont bien des policiers. Je demande pourquoi nous contrôler, nous, alors je leur dis « C’est à cause du voile, c’est ça ? » Ils rigolent mais ne répondent pas. « Papiers d’identité ». On s’exécute. Ils nous sortent de la queue comme des malpropres, j’avoue avoir commencé à hausser le ton, peut-être n’aurais-je pas dû. Bref. Je leur fais savoir que c’est honteux, ils se mettent à parler de plus en plus fort, presque à nous crier dessus. Je réitère mes propos encore plus fort « C’est une honte, de toute la gare on est les seules à se faire contrôler ». Le policier me dit que si je continue à parler aussi fort, je vais faire un tour avec eux au commissariat. Franchement, à ce moment là je n’en ai rien à cirer. 

« Vous êtes vraiment française ? » 

Le policier a encore ma carte d’identité entre les mains, il l’inspecte et me lance en lisant mes trois prénoms dont l’un est français « Vous êtes vraiment française ? » Je précise que bien qu’ayant la double nationalité, j’ai tendu au policier ma carte d’identité française ce que je lui fais remarquer. « Il y a écrit République française sur ma carte, non ? » Avec du recul, je me dis que ce n’est rien par rapport à ce que les jeunes de banlieue vivent au quotidien, par rapport aux contrôles musclés qu’ont vécu certains de mes potes, aux insultes, parfois même aux crachats… Vous vous imaginez, un policier qui vous crache à la figure. J’écris ces mots et je les relis encore et encore pour réaliser. Alors j’ai décidé de demander aux personnes concernées de me parler, de se confier, de me raconter, de nous raconter. Saïd* raconte un contrôle de police dans le XIIè arrondissement de Paris. Il est avec ses copains, ils discutent et certains fument. Une patrouille de police s’arrête, on leur demande leurs papiers d’identité. Quand il dit à l’un d’eux qu’ils se font toujours contrôler et qu’il y en a marre, on lui répond « T’as qu’à rentrer dans ton pays ». Il m’avoue alors, « On s’est mis à leur crier ‘bande de racistes’, ‘fachos de merde’, on est chez nous ici.» Un policier lui répond « Comment j’ai envie de t’éclater ta tête de sale arabe » en mimant un coup de poing. Karim* raconte une garde à vue (GAV) qui s’envenime et au cours de laquelle un policier lui demande « Pourquoi ta mère elle t’a mis au monde ? » Plus récemment, des personnes de mon entourage se font contrôler. Le policier dit à son collègue en riant qu’« Ils ont des têtes de Français avec des noms arabes ». Anas*, quant à lui, parle de contrôles de police récurrents, parfois même à plusieurs reprises dans une même journée. Il décrit « Ça devient habituel, je marche, on me dit contrôle d’identité, mettez-vous sur le côté. Généralement, ça ne dure pas plus que 5 à 10 minutes. Le maximum ça peut être 30 minutes si les policiers veulent vraiment te casser la tête ». Et il ajoute « Mais 5-10 minutes à 14h, 5-10 minutes à 18h, 5-10 minutes à 21h, ça commence à faire beaucoup de minutes… Et parfois, c’est les mêmes qui te contrôlent et qui te disent ‘excusez-nous monsieur , il y a eu un délit et vous correspondez exactement à la description’.» Il développe « Parfois on se fait contrôler en groupe, on est posés dans un stade, on joue au foot, on rigole entre nous, on écoute de la musique mais bien sûr, ça dérange une brochette d’Arabes, c’est vrai que c’est pas beau pour le décor hein. » Pour lui, c’est du harcèlement et de l’acharnement. Toujours se diriger vers les mêmes. Il m’explique que des gens qu’il connaît lui disent qu’il faut montrer une bonne image, que c’est à nous de donner le bon exemple pour montrer qu’on ne fait pas tous des conneries, qu’on n’est pas tous les mêmes et conclue « mais ça ne justifie en rien le traitement qu’on subit, ce n’est pas normal ». Un des moments qui m’a marqué dans nos échanges est quand il m’envoie une photo de lui le visage tuméfié. Il m’explique que c’est suite à un accident en vacances. Plus tard, un contrôle de police se solde par une mise en GAV, il objecte, crie que c’est injuste, qu’il n’a rien fait. Alors le policier lui répond d’arrêter de faire l’activiste et ajoute « Ça se prend pour Mandela et Boumédiène ». D’ailleurs, tout du long il l’appellera « Boumédiène »… Arrivés au poste, le policier fouille dans son portable, dans ses photos et lui montre celle d’Anas* visage tuméfié. Il lui dira « Je sais pas ce qui me retiens de te foutre dans cet état ». La loi peut-être ? Mais sûrement pas la haine. 

« Cruel comme les gosses dans la cour d’école. La haine personne n’en a le monopole » 

disiz – J’ai la haine

Je demande à Julien* si le fait qu’il soit le seul « blanc » du groupe change quelque chose au niveau  du traitement lors des contrôles de police. « Non, franchement moi ma couleur de peau n’a jamais changé quelque chose à la manière dont on se faisait contrôler. Quand t’appartient à un groupe, ils te connaissent et c’est tout le monde dans le même sac, pas de différence ». Il continue « Quand t’es dans leurs locaux, c’est là que c’est compliqué parce que ça peut monter vite en pression et eux sont en supériorité numérique donc forcément tu manges » des coups, des insultes… Julien* temporise « Je ne pense pas qu’on soit écouté, peut-être entendu mais on n’est pas écouté et surtout pas compris. Après, je ne sais pas si je suis un bon exemple parce que je ne suis pas quelqu’un qui a toujours suivi les règles de cette société et quand t’es quelqu’un qui a déjà été confronté à la justice pour une quelconque affaire, tu ne peux plus te faire entendre, on ne te croira plus. »  Et d’enchaîner « T’es impuissant quand t’es entre leurs mains, ils font ce qui veulent », comme pour Adama Traoré. Julien* tient quand même à souligner et c’est important « Je suis aussi tombé sur des policiers qui ont été compréhensifs avec moi mais malheureusement pas les policiers assez bien placés pour que ça ait une quelconque influence sur un gradé. » J’ai écrit ce papier, et les autres qui viendront dans la suite des épisodes dans le but que certains prennent conscience que ces réalités existent. Que la police n’est ni toute blanche, ni toute noire mais que « La France dans une haine certaine s’embourbe » pour citer Disiz (dans sa chanson « J’ai la haine ») et que certains sont cruels « comme les gosses dans la cour d’école » même si « La haine, personne n’en a le monopole » mais que sur les réseaux beaucoup « lâchent des messages d’amour qui feraient passer Hitler pour un Bisounours ». Et j’en reviens à ce qui m’a poussée à écrire ce papier, parce que trop c’est trop. On retourne à Villeneuve-la-Garenne qui s’embrase depuis maintenant 4 jours comme d’autres banlieues. On a des nouvelles de l’homme blessé suite à la portière ouverte par magie. Son avocat a partagé une vidéo dans laquelle l’homme demande à ceux qui ont manifesté leur colère de rentrer chez eux. Il reconnaît lui-même ne pas être un enfant de coeur et des syndicats de police ont d’ailleurs partagé sur les réseaux tous les faits qui lui sont reprochés. Mais encore une fois, rien ne justifie la haine et la violence et encore moins les propos de certains Français sur les réseaux dont vous avez un échantillon ici. 

* Les prénoms ont été changés.

Screenshot tiré du film La Haine de Mathieu Kassovitz (1995) 

À venir : Episode 2 : L’espoir ?

Journaliste et fondatrice de thedaybriefing.com

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