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Que cache notre passion pour les faits divers ? 

Cet article a été initialement publié début 2018 par mes soins pour le média Twenty Magazine qui a disparu depuis. Avec l’ordonnance de la justice de nouvelles expertises dans le cadre de l’affaire Grégory, il m’a semblé interessant de vous partager ce papier afin d’essayer de comprendre d’où vient notre fascination pour les faits divers.

La lumière a enfin été faite sur l’affaire Alexia Daval mais on ne sait toujours pas ce qui est arrivé à la petite Maëlys [update : le 14 février 2018, Nordahl Lelandais reconnait avoir tué Maëlys de Araujo et conduit les enquêteurs dans une commune du massif de la Chartreuse, où il a déposé le corps de l’enfant]. On suit ces affaires méticuleusement, on s’improvise parfois même détective derrière nos écrans et on veut surtout en savoir plus, toujours plus. Alors pourquoi les faits divers nous passionnent-ils autant ? Est-ce une obsession ? Un fait de société ? Un divertissement ? La chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Dijon, saisie par les parents du petit Grégory, retrouvé mort le 16 octobre 1984 dans la Vologne, a demandé mercredi 20 mars de nouvelles comparaisons ADN. Christine et Jean-Marie Villemin, par le biais de leurs avocats, ont également fait part d’une demande de faisabilité d’expertises vocales des enregistrements du corbeau, qu’ils avaient réalisés sur cassettes audio. Saurons-nous un jour qui a tué le petit Grégory il y a maintenant presque 40 ans ? Peut-être…

« Le fait divers tragique et sanglant fait fureur« 

Tout d’abord, d’où viennent-ils ? À quand remonte le premier fait divers ? Feu Maurice Lever, historien et maître de recherche au CNRS, a rapporté dans son livre Canards sanglants — Naissance du faits divers, que c’est au XVIè siècle que « le fait divers tragique et sanglant fait fureur « . Il parle également « d’intérêt passionné du public » pour ces faits divers. En 1606, un fait divers c’était ça : « La femme d’un boulanger se voyant surprise en adultère se précipita du haut d’une fenêtre et se tua« .  Ou ça : « Un méchant garnement tua un bon père de famille à Paris, et puis emmena sa femme avec lui, de son consentement, sans qu’on en ait pu encore avoir nouvelles ».  Aujourd’hui, c’est plutôt ça : « Mulhouse : Ecrasé devant sa famille sur le parking du supermarché après s’être embrouillé dans la file d’attente ».

A l’époque, Pierre de l’Estoile, fondateur du Journal, achetait à tous les coins de rue les « canards » de colportage qui racontaient, par écrit, les faits divers. Ce qu’on appelait « canards », c’étaient les « événements singuliers ou prodigieux que l’on croyait sortis de l’imagination de l’auteur ». Le but de ces papiers souvent imprimés sur des supports très peu qualitatifs était de « communiquer le frisson de la peur » aux lecteurs avides d’émotions fortes. Certains se demandent si les faits divers ont été inventés par la presse et il s’avère que non puisque c’est même plutôt l’inverse. En effet, ce sont même ces faits divers qui ont fait les beaux jours de celle-ci à ses débuts, avec notamment l’apparition d’Occasionnels, qui comme leur nom l’indique, paraissaient à l’occasion de grands événements sortant de l’ordinaire. Mais le fait divers, c’est quoi au juste ? Pour Jamil Dakhlia, professeur en Sciences de l’Information et de la Communication et directeur de l’UFR Arts & Médias à l’Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, spécialiste en histoire et sociologie des médias, un fait divers, historiquement, c’est « ce qui était inclassable dans l’actualité, d’où son nom de fait divers (…) ». Etaient regroupés dans cette rubrique « les événements insignifiants mais d’actualité« . Aujourd’hui, les choses n’ont pas vraiment changé puisque selon le Larousse, un fait divers c’est un « événement sans portée générale qui appartient à la vie quotidienne« . Quelque chose de banal, alors ? Pas tant que ça vu la fascination qui règne autour de ces événements qui sont, de manière générale, assimilés à des crimes. 

Le petit Grégory 

Cette affaire qui avait suscité l’émoi en 1984, et qui est encore d’actualité aujourd’hui, est une des preuves que les faits divers ne nous laissent pas si indifférents que ça. En 1983, un « corbeau » dépose un mot dans les volets de Jean-Marie Villemin : « Je vous ferai votre peau à la famille Villemin« . Octobre 1984, le corps du petite Grégory, âgé de 4 ans, est retrouvé sans vie dans le Vologne. Le lendemain, le corbeau revendique son acte : « Voilà ma vengeance pauvre con. J’espère que tu mourras de chagrin, le chef. Ce n’est pas ton argent qui pourra te redonner ton fils« . En 2018, on ne sait toujours pas qui a commis l’irréparable [et en 2024 non plus]. Depuis, une page Wikipédia sur l’affaire a même été créée.

On peut y lire : « En raison de la grande médiatisation qu’elle lui a accordée, une grande partie de la presse sera critiquée pour son traitement feuilletonesque, voire hystérique des avancées de l’enquête, et son intrusion dans la vie privée des intéressés ».  Alors, les faits divers seraient-ils, au fond, une série policière ? Les médias nous raconteraient-ils une histoire en nous donnant des indices, des pistes à chaque « épisode » du JT ? Selon Jamil Dakhlia, ça serait totalement le cas puisqu’il explique qu’il y a forcément une « dimension feuilletonnante » dans la médiatisation de ces événements. Il y a plusieurs temps au niveau de l’enquête (la police, la justice,  etc) ce qui fait qu’on sait d’emblée qu’il y aura « plusieurs épisodes » jusqu’à découvrir ce qui s’est vraiment passé, ou pas… Et puis, il y a aussi notre dimension puisqu’on s’improvise juge, enquêteur, on se demande ce qu’on aurait fait dans cette situation et on essaie surtout de résoudre l’affaire.

Sur la page Wikipédia de l’affaire Grégory on peut également lire : « La mise en terre dans le cimetière communal est ponctuée de débordements, notamment en raison de la présence intrusive de photographes et de journalistes qui sont la cible de jets de pierres« . N’est-ce pas indécent de la part des médias de vouloir à tout prix exhiber le malheur des autres ? Selon le marquis de Sade, « l’espèce humaine n’atteint sa jouissance la plus profonde que dans la mort ou la douleur d’autrui« . Grosso modo, l’homme ressentirait le frisson de la peur tout en étant à l’abri du risque puisqu’il a l’image de l’autre qui souffre sans être touché. Vous avez dit étrange ? Pour Maurice Lever, « Nous sommes comme les spectateurs d’un combat de gladiateurs sauf qu’aujourd’hui la télévision a remplacé l’arène… »

La tuerie de Nantes 

Également connue sous le nom d’Affaire Dupont de Ligonnès, ce quintuple meurtre, non élucidé à ce jour, en a passionné plus d’un et continue à susciter la curiosité. Quand on tape Xavier Dupont de Ligonnès sur Google, les résultats de recherche sont nombreux mais c’est surtout sur Facebook qu’on peut avoir la preuve concrète de la passion de certains pour les faits divers puisque de nombreuses pages d’enquête et contre-enquête ont été créées par des internautes détectives en herbe.

[Update mars 2024 : La mère et la sœur de Xavier Dupont de Ligonnès sont dans le collimateur de la justice car toutes deux animent un groupe de prières soupçonné de dérives sectaires. Dans son livre intitulé ‘Xavier, mon frère présumé innocent’, paru le 13 mars 2024, Christine Dupont de Ligonnès, la soeur de Xavier Dupont de Ligonnès, défend la thèse selon laquelle toute la famille serait encore en vie].

L’homme le plus recherché de France aurait assassiné en 2011, à Nantes, sa femme et ses quatre enfants puis se serait volatilisé. C’est ce mystère qui nous fascine tant. A-t-il vraiment tué sa famille ? Pourquoi ? Où est-il ? Tant de questions sans réponse que l’on essaye d’élucider, en vain. Pourquoi sommes-nous autant fascinés ?

Selon Jamil Dakhlia, « Notre fascination pour les faits divers n’est pas seulement voyeuriste, on cherche à connaitre l’origine du mal, ce n’est pas forcément malsain. On veut comprendre ce qui fait qu’on bascule de l’autre côté« . Pour Maurice Lever, le fait divers nous permet de trouver « dans la misère du monde, une raison de supporter la notre, et (de) nous consoler de nos petits déboires par le spectacle de la ruine universelle« . Cette obsession pour le fait divers serait alors une manière de se rassurer soi-même, de comprendre l’origine du mal et de se dire que si on sait pourquoi la personne a pété les plombs ça ne risque pas de nous arriver. Jamil Dakhlia ajoute que dans cette fascination du fait divers « on cherche à apprivoiser le destin et le côté fatal pour expliquer le mal fait pas d’autres humains« .

Certains médias le font dans une visée commerciale

Et les médias dans tout ça ? Certains les critiquent en affirmant que leur traitement des faits divers est une manière de nous détourner des sujets épineux comme la politique par exemple. Serait-ce alors vraiment un choix volontaire des médias ? Pierre Bourdieu affirmait que oui, et d’après lui, les faits divers sont médiatisés de manière à nous détourner de notre propre condition. Pour Jamil Dakhlia, l’analyse est autre : « Certains médias le font dans une visée commerciale mais pas manipulatrice pour détourner des vrais problèmes. En contexte d’hyper concurrence il faut trouver le sujet qui va attirer le plus de public jusqu’au moment où il y a une saturation. Mais tant que l’audience est là on continue« .

Des émissions comme ‘Faites entrer l’accusé‘ peuvent être perçues comme une sorte « d’exorcisme » puisqu’on nous explique de A à Z une affaire criminelle. En regardant ce type d’émissions, il y a encore là l’idée de se rassurer et de se dire que si on connait tous les détails et toutes les raisons d’un crime, on peut éviter qu’un drame ne survienne dans notre entourage. Nombreux sont également ceux qui condamnent la médiatisation de ces faits divers en invoquant le côté malsain et exhibitionniste des médias. Maurice Lever expliquait que pour qu’il y ait voyeurisme, il faut qu’il y ait des voyeurs et tant qu’il y a des voyeurs, les médias et la télé ne font que contenter ce désir général d’en savoir toujours plus. Et d’ajouter : « Et si le mal ne se trouvait pas derrière nos écrans mais au plus profond de nous ?  »  

Maëlys, Fiona, Typhaine : sommes-nous plus touchés quand il s’agit d’enfants ? 

L’Affaire du petit Grégory, qui remonte aux années 1980, avait ému et les infanticides sont malheureusement toujours d’actualité presque 40 ans plus tard. En témoignent, la disparition de Maëlys depuis août dernier ou encore le meurtre de Fiona en 2013 et dont les parents viennent seulement d’être condamnés. Cécile Bourgeon, la mère, et Berkane Makhlouf, le beau-père, avaient été mis en examen pour « coups mortels aggravés en réunion » et « crime imaginaire« . Dans un premier temps, la mère avait été condamnée à 5 ans de prison puis sa peine s’est vue alourdie, il y a quelques jours [ce papier a été publié en 2018 ndlr]. Elle a été reconnue coupable, en appel, de violences ayant entrainé la mort et le couple a finalement écopé de 20 ans de réclusion.

En 2009, il y avait aussi Typhaine, une petite fille  âgée de 5 ans, qui était devenue le souffre-douleur de ses parents, battue à mort « pour avoir uriné au lit et volé des bonbons et avoir eu du mal à dormir« . Les parents seront condamnés à 30 ans de prison. La liste est encore longue mais à chaque fois qu’il s’agit d’un enfant, on a tendance à être plus touchés, plus émus. On se dit que les enfants sont innocents et qu’ils n’ont rien demandé à personne et puis on se projette, on pense à nos neveux, nos cousins, nos frères, nos soeurs…

Le fait divers nourri par la nature humaine ?

Jamil Dakhlia rapporte qu’Anne-Claude Ambroise-Rendu, historienne française, expliquait que l’horreur face à la question de la pédophilie et les crimes contre les enfants se met en place à partir du moment où notre regard sur les enfants change à la fin du XIXème siècle. Il ajoute que « Notre sensibilité est liée au schéma que ça met en action dans nos têtes. On est touchés quand quelqu’un meurt très jeune, on lit souvent que c’est ‘une jeunesse foudroyée’ parce que dans nos sociétés on est censés vivre longtemps si on est en bonne santé« .

Le fait que l’on se projette et que l’on s’identifie aux « personnages », en se mettant, par exemple, à la place des parents de Maëlys et en pensant à leur douleur, nous pousse à nous intéresser encore plus à ce fait divers. En soi, on veut donne un sens à l’inexplicable, on veut comprendre et se comprendre. Pour Maurice Lever, « le fait divers se nourrit de la nature humaine (…) et permet de se comprendre soi-même« . On peut enfin conclure sur une citation de l’historien concernant le coeur du fait divers. Selon lui, le fait divers c’est « la raison et la déraison, la sagesse et la démence, le crime et le châtiment, le rêve et la réalité… L’ambivalence est bien au coeur des faits divers comme elle est au coeur de l’Homme« .

Update mars 2024 : Alors que cet article avait été initialement publié en 2018, notre analyse montre que le fait divers suscite toujours autant d’intérêt à l’heure actuelle. On pense notamment à l’engouement que la disparition du petit Emile, 2 ans et demi, le 8 juillet 2023, a créé et continuer de cultiver puisqu’on ne sait toujours pas ce qui a bien pu arriver à l’enfant qui s’est volatilisé dans le hameau du Haut-Vernet…

Crédits photos : photo du petit Grégory AFP/Archives + capture d’écran Netflix

Journaliste et fondatrice de thedaybriefing.com

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