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Télé réalité : sorcellerie dans le couscous ?

Véritable feuilleton de ces derniers jours, qui n’en finit plus comme les feux de l’amour, une candidate de télé réalité aurait eu recours aux sciences occultes afin de nuire à d’autres candidats. C’est en tout cas le grand scandale qui a fait trembler le monde de la télé-réalité. Alors, sorcellerie dans le couscous ou racket en bande organisée ? Enquête.

Depuis une dizaine de jours maintenant, la presse people fait ses choux gras avec l’histoire de sorcellerie par une candidate des Marseillais à l’encontre d’autres candidats de l’émission phare de W9. Carla Moreau est accusée d’avoir jeté des sorts, via une voyante, à d’autres candidats, dont sa meilleure amie Maeva Ghennam. On découvre toute cette histoire suite à la révélation de captures d’écran et de notes vocales où la voix de Carla est amplement reconnaissable. On l’y entend donner des instructions à une voyante afin d’être la star du programme de W9, mais aussi que des couples se brisent, que son fiancé et elle vivent dans la paix et sans tromperie, qu’il arrive malheur aux enfants de certains candidats ou encore que la carrière d’autres participants s’éteigne. On voit également, vidéos à l’appui, la soi-disant voyante qui exécute les souhaits de Carla à coup de poupées vaudous, photos et aiguilles. Les réactions des Marseillais ne se font pas attendre et les critiques, parfois insultes, sont nombreuses. Outre ces révélations, il est avancé que Carla aurait déboursé 1,2 millions d’euros depuis ses 17 ans (ndlr : elle en a maintenant 24) pour que sa voyante effectue les envoutements afin qu’elle devienne une star du petit écran. La principale intéressée est restée bien silencieuse avant de finalement intervenir sur le plateau de Touche pas à mon poste (TPMP), véritable tribunal des polémiques. Elle explique que oui, il s’agit bien de sa voix sur les notes vocales mais qu’elle est en réalité victime de racket et d’escroquerie et qu’elle a dû prononcer ces souhaits sous la contrainte et les menaces de la voyante, qui agirait en bande organisée en envoyant des hommes de main menacer Carla et ses proches. Elle annonce qu’une plainte a été déposée et que la voyante en question n’en est pas à son coup d’essai puisqu’elle aurait escroqué bien d’autres personnes. Qu’il y ait eu sorcellerie ou non, et qu’on y croie ou pas n’est pas la question, ce qui est intéressant ici est de voir à quel point l’envie de célébrité et le besoin de lumière de certains peuvent être poussés à leur paroxysme.

La télé-réalité agit comme un shoot de célébrité

Un reportage de Spécial Investigation, datant de 2012 et intitulé Histoires secrètes de la télé-réalité (de Grégory Héraud), revient sur l’origine du mal ou plutôt des maux de certains candidats. L’histoire de sorcellerie de Carla et les souhaits qu’elle aurait été obligée de formuler montre que la télé-réalité agit comme un shoot de célébrité. À l’instar de la drogue, plus vous y goûtez, plus vous en redemandez et le constat est le même de l’autre côté de l’écran avec les spectateurs. En effet, on constate parfois une réelle addiction de la part du public qui en redemande et va même jusqu’à suivre la vie des candidats en dehors de la télé, sur les réseaux sociaux. Carla a dit lors de son passage dans TPMP qu’elle ne voulait pas être prise pour une « folle » avec ces histoires de sorcellerie et qu’elle n’avait en rien souhaité le malheur d’autrui. Laissons-lui le bénéfice du doute, surtout que nous ne sommes pas ici au tribunal. Cela dit, certaines des choses demandées comme la célébrité et le fait de briller plus que les autres sont symptomatiques d’un besoin de lumière constant sur sa personne et d’une envie d’atteindre les sommets de la célébrité. Pour mieux comprendre comment ce divertissement massif, qu’est la télé réalité, prend de telles ampleurs, il est intéressant de faire un saut dans le passé, et de retourner à l’époque du Loft Story. 

Télé poubelle ou reflet de la société ?

Il est incontestable que l’addiction à la télé-réalité est planétaire. On parle de ce phénomène comme « l’audiovisuel à l’ère de la mondialisation ». En soi, la télé réalité, ce sont des gens comme vous et moi qui se donnent en spectacle. Dans le reportage de Spécial Investigation, on la caractérise de révolution cathodique mondiale. Elle naît à Londres à la fin des années 1980 et c’est Charles Parsons, un ancien journaliste, qui en revendique la paternité. Pour la petite histoire, il prépare un documentaire dans lequel on suit 4 anglais lambdas qui ont été envoyés sur une île déserte. Ils sont filmés 24/7 pendant 10 jours et doivent survivre seuls en pleine jungle. À l’époque le programme ne marche pas et les audiences font un flop. Il revient, en 1988, avec l’idée d’un jeu cette fois-ci qui s’appellerait « Survive ». Comme pour son documentaire, il s’agirait de mettre des candidats sur une île pendant 40 jours cette fois. La compétition se déroule sur une plage et les participants doivent trouver seuls de la nourriture et se construire un abris. Ils s’affrontent aussi chaque jour lors d’épreuves physiques. Il met au point un système d’élimination : chaque semaine les participants sont réunis et votent pour le départ de l’un d’entre eux. À la fin, il n’en reste qu’un. Alors est-ce que Carla, des Marseillais, en demandant, potentiellement, à sa voyante de faire du mal aux autres candidats s’est trompée de règles du jeu et s’est crue dans Koh Lanta ? Seule la justice nous le dira.

« Nous remodelons ces images pour augmenter le suspens »

Charles parsons

Plus sérieusement, Parsons a imaginé ce concept d’élimination afin de capturer l’attention du spectateur et lui donner envie de continuer à regarder semaine après semaine pour savoir qui sera le dernier survivant. On retrouve d’ailleurs ce système d’élimination encore dans les télé-réalités actuelles. Autre point intéressant, en indiquant la marche à suivre de son programme, qui sera adapté dans 52 pays au total, dont la France avec Koh Lanta, Parsons évoque un concept qui est encore mis en pratique de nos jours. En effet, il parlait de filmer les images « comme un reportage (…) en insistant sur les relations entre les candidats, leurs histoires d’amour naissantes et leurs conflits ». Il avouait aussi « Nous remodelons ces images pour augmenter le suspens », chose toujours autant assumée, même une vingtaine d’années plus tard. C’est seulement 9 ans après avoir conceptualisé son programme que ce dernier est finalement acheté par une chaîne suédoise (il s’appellera Expédition Robinson). Mais les choses ne se passent pas comme prévues. Le premier candidat de l’émission à être éliminé se suicide. Sa veuve confiera qu’il était rentré dépressif de l’île alors qu’une enquête menée pour définir les liens de cause à effet blanchira la société de production.  En 2001, Karl Zéro interviewe pour le Vrai journal, le producteur néerlandais John de Mol, dit le « pape de la télé-réalité », et lui demande s’il n’a pas honte d’avoir inventé la « télé poubelle ». John de Mol, fondateur d’Endemol, lui répond qu’au contraire, il est en est fier et confiera même : « Je crois que ce genre de télé va rester 5 à 10 ans à mon avis parce que c’est en quelque sorte un reflet de notre société ». 

« Loft Story, une machine totalitaire » 

Jean-Jacques Delfour, philosophe et professeur, écrivait en 2001 dans les colonnes du journal Le Monde, un article assassin au sujet de la première télé-réalité française. Il parlait de Loft Story comme d’une « machine totalitaire » et « Un ensemble de dispositifs mécaniques, matériels et psychiques, visant à voir, à scruter au fond de l’intimité la plus grande, (…) la vie privée de la conscience d’autrui ». Il ajoutait « Il suffit de regarder pour être placé objectivement, qu’on le veuille ou non, dans la position perverse du voyeur/scrutateur. » Et de continuer « Le dispositif du confessionnal rappelle chaque jour l’obligation de s’exposer intimement. C’est une prison, consentie (…) ». Antithèse intéressante. Les termes qu’il emploie sont d’autant plus frappants qu’il avance que « « Loft Story » est un champ expérimental d’assujettissement total (…) où (…) l’humain est traité comme une matière première. » Il compare les candidats à du bétail voire des esclaves qui acceptent de se soumettre pour le plus grand plaisir des spectateurs « devenus accros et (…) [ignorant] un peu plus le reste du monde. » Patrick le Lay, PDG de TF1 entre 1988 et 2007, défendait l’arrivée de la télé réalité en France en expliquant que « L’objectif de TF1 c’est de faire des programmes qui rassemblent la majorité des Français ». Ce phénomène ne serait donc qu’un reflet de notre société comme l’avançait John de Mol, à l’origine d’une autre bête de la télé : Big brother. Il confiait à l’époque : « Je sens que Big brother sera à Endemol ce que Mickey Mouse est à Disney ». Le premier épisode est lancé en septembre 1999, et c’est ainsi que la télé réalité d’enfermement naît officiellement. Au programme ? 9 candidats enfermés et filmés 7/7 jours et 24/24h. L’émission est un carton et est, entre autres, adaptée en Italie, au Portugal, en Grande-Bretagne, en Suisse ou encore aux USA mais pas en France. Pourquoi ? Car à cette époque les chaînes de télévision refusent de tomber dans la piège. En témoigne un extrait de l’émission Arrêt sur images de Daniel Schneidermann. On est en mars 2000 et il a invité des patrons de chaînes télé sur son plateau. Les acquiescements sont unanimes quand il dit « Concernant Big brother, on est tous d’accord autour de cette table pour dire ‘ces images ne doivent jamais être vues à la télé française’ ». Etienne Mougeotte, ex-vice président de TF1 parlait de la télé réalité comme d’une « théâtralisation de la vie privée des gens ». Il faut savoir qu’à l’époque TF1 et M6 avaient passé un pacte pour se promettre qu’aucune des deux chaînes ne se lancerait dans la tv réalité. TF1 rompt en quelque sorte l’accord puisqu’elle achète les droits pour diffuser la version française de Survive, de Charles Parsons : Koh Lanta. M6 achète alors Loft Story à Endemol pour la modique somme de 11 millions d’euros. L’émission, qui ressemble à s’y méprendre au concept suédois de Big brother, est présentée comme un « psycho-jeu de rencontre qui suit au jour le jour la vie de 11 célibataires de 20 à 35 ans, 5 filles, 6 garçons qui partagent un appartement 7/7 et 24/24 pendant 70 jours sous le regard et l’arbitrage des téléspectateurs ». 

Vie de rêve, intrigues et dropshipping

Cet article n’a pas vocation à vous faire un historique de la télé-réalité mais plutôt de vous donner de la matière afin de comprendre comment certaines célébrités de ce milieu en arrivent à complètement dérailler. On pense notamment à Loana, qui entre dans le jeu alors qu’elle a 23 ans et en sort grande gagnante aux côtés de Christophe. Elle avait tout pour mener la « vie de rêve » mais se retrouve depuis de nombreuses années dans une descente aux enfers de plus en plus dramatique. Tentatives de suicide, drogues, alcool, violences conjugales, bipolarité, le constat est bien triste 20 ans après le début de Loft Story. Les personnes choisies pour participer à ce genre d’émissions sont souvent des personnes banales mais pourtant sélectionnées au cours de castings. Vous comprenez bien qu’il faut que ces personnes soient capables de créer du buzz et de se donner en spectacle pour pouvoir happer l’attention des téléspectateurs et leur donner envie de continuer à regarder encore et encore ce genre de contenus. On met en scène une intrigue, des disputes, des histoires d’amour, des ruptures, des tromperies, de sorte à ce que le désir de se tenir au courant des péripéties des candidats ne vous quitte plus. Bien sûr, certains vous diront qu’ils regardent les émissions de télé réalité parce qu’ils se moquent des candidats, parce que c’est con, parce qu’ils s’ennuient. Cependant, ces stars de la télé sont suivies même après leur passage derrière nos écrans. Certains d’entre eux ont des millions d’abonnés au compteur, ce qui avouons-le fait le bonheur de leurs affaires puisque plus vous êtes suivis plus les marques voudront travailler avec vous. Le dropshipping fait d’ailleurs rage sur les réseaux sociaux. Les candidats font des placements de produits qui, disons-le franchement, sont souvent de la publicité mensongère. On vous promet un thé qui va vous faire perdre du poids, une crème pour dire adieu à la cellulite, des compléments alimentaires pour avoir une chevelure à la Raiponce mais aussi des bijoux, du maquillage, des vêtements et j’en passe. En somme, le dropshipping c’est un peu le téléshopping des temps modernes. Et ce qui est problématique c’est que ces célébrités vous proposent des codes promos soi-disant fous qui vous permettraient de faire de larges économies. En réalité, il n’en est rien puisque ces produits dont ils font la promotion sont, en général, issus de sites de e-commerce chinois comme AliExpress, Wish et compagnie. Le summum de cette culture du vide a été atteint par l’une des ces candidates qui proposait un code promo pour des livres… en carton ! Oui, vous avez bien lu. Des livres vides à utiliser en guise de décoration. Il faut également souligner que les candidats de télé réalité en ont maintenant bien compris les rouages. Ils ne sont plus totalement utilisés par elle. C’est plutôt l’inverse qui se produit puisqu’ils se servent de cette popularité pour lancer des business et tenter de briller en société.

 « Je ne suis pas venu dans cette émission, je ne me suis pas affiché pour ressortir incognito »

François-Xavier, dit FX

Mais pour en revenir au cas de Loana et à sa descente aux enfers, on peut se demander quelles répercussions ont ces émissions de télé réalité sur leurs candidats ? Ces derniers ont-ils la force psychologique d’assumer ce shoot de célébrité ? Ont-ils les épaules assez solides pour garder les pieds sur terre et ne pas sombrer ? Xavier Couture, ex-directeur de l’antenne TF1, parlait de ces candidats comme de « chair à canon médiatique ». Il faut d’ailleurs noter que quand le programme Big brother est arrivé aux Pays-bas, le conseil de l’ordre des psychiatres a tenté de faire interdire sa diffusion. Dans l’Hexagone, lors d’un court entretien, des psys voient les candidats avant leur passage à la télé. Le but étant de savoir s’il n’y a pas de contre-indications psychologiques qui empêcheraient leur participation à l’émission. En 2012, on dénombrait 18 suicides dans le monde entier après un passage dans une émission de tv réalité. On pense notamment au candidat François-Xavier (FX) qui avait participé, en 2009, à la troisième édition de l’émission de TF1, Secret Story. Il répondait ainsi à une consoeur de Télé loisir qui lui demandait « La notoriété, c’est la seule chose qui vous intéresse ? » : « Je ne suis pas venu dans cette émission, je ne me suis pas affiché pour ressortir incognito ». En 2011, soit deux ans après son passage dans l’émission emblématique de TF1 et quelques mois après l’échec du programme Carré VIIIP et ses audiences catastrophiques (ndlr : la diffusion est arrêtée brusquement et les candidats sont les derniers à être informés de cette décision), FX se suicide. Il avait confié sur le plateau de Morandini, quelques temps avant de commettre l’irréparable, qu’il ne savait plus quoi faire de sa vie. La mère du candidat racontait démunie, regretter d’avoir laissé son fils participer à cette émission. Selon elle, FX n’était pas suffisamment solide psychologiquement pour pouvoir assumer les retombées d’un tel programme. Elle dénonçait une « erreur de casting » et affirmait que son fils aurait évoqué au moment de ce dernier, un séjour de deux semaines en hôpital psychiatrique au CHU de Nantes, dans une unité réservée aux jeunes en crise, notamment suicidaires. Pourtant sa candidature a quand même été retenue malgré ses failles psychologiques…

 « J’étais un peu Cendrillon et ma bonne fée c’était le Loft ». 

Loana

Aujourd’hui, la télé réalité ne choque plus. Elle s’est banalisée comme la présence de ces « personnalités jetables » qui après leur shoot de célébrité tombent dans l’oubli. Loana dans le reportage qui lui a été consacré par RMC Story et hospitalisée récemment, après avoir ingéré trop de cachets, parle en ces termes de sa participation à la première émission de télé réalité française : « J’étais un peu Cendrillon et ma bonne fée c’était le Loft ». Ses propos font écho à ceux de Jean-Jacques Delfour, qui parlait de cette émission comme de « leurres lénitifs » (ndlr : qui apaisent) et de télévision entremetteuse vue comme une bonne fée qui offre la maison » (ndlr : les vainqueurs du Loft story gagnaient une somme d’argent qu’ils devaient investir dans l’immobilier). À l’époque, Edouard Balladur, ancien Premier ministre et ministre de l’Economie sous Mitterrand, avouait qu’il regardait le Loft et connaissait Loana. Aujourd’hui, c’est Eric Dupond-Moretti, actuel garde des Sceaux, invité dans l’émission C à vous, du 5 mars dernier, qui confiait être fasciné par la télé réalité et en particulier par Les Marseillais. Il expliquait « Ça me fascine que l’on puisse accepter d’être enfermé dans une espèce de cage, d’accepter d’être filmé en permanence ». Alors, jusqu’où ira la télé réalité et son show qui médiatise des personnes ayant envie de briller ? Une chose est sûre, et comme le disait un certain William de Britaine, « Qui veut voler trop près du soleil se brûle les ailes ». 

Nota bene : l’image de Une est un montage visant à souligner que n’est pas sorcier qui veut et que ce n’est pas un jeu d’enfant. La méchante reine de Blanche-neige, ici grimée en sorcière, tient dans sa main, au lieu de la pomme empoisonnée, un plat de Couscous pour bébé. Ce montage et le titre de cet article (« sorcellerie dans le couscous »), sont des allusions aux paroles du rappeur phocéen Jul, dans sa chanson « Coucou ».

Journaliste et fondatrice de thedaybriefing.com

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