Lu dans la presse : le 1er novembre 1954 en Algérie
Le 1er novembre 1954 marque le début de la « guerre d’Algérie » ou « guerre d’indépendance algérienne ». Côté algérien, on parlera aussi de « révolution » même si certains historiens situent sa genèse plus tôt. Nul ne se doutait que cette « rébellion » durerait huit années. On vous propose aujourd’hui une revue de presse des journaux de l’époque.
La Toussaint rouge, ça vous parle ? En France, on célèbre aujourd’hui la Toussaint, une fête catholique en l’honneur de tous les saints, à ne pas confondre avec la fête des morts le 2 novembre. À Paris et à Alger, en ce même jour de novembre 1954, se déroulent les cérémonies officielles en cette occasion. L’Alger Républicain note qu’elles se sont tenues, côté algérien, « sous un soleil radieux et une chaleur étouffante ». Dans l’Hexagone, le Figaro parle d’ « Un soleil inattendu [qui] a accompagné les Parisiens qui se pressaient dans les cimetières ». Pourtant, dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, sur une petite route des Aurès, le car qui assure la liaison Arris-M’Chounèche est attaqué par un groupe d’hommes armés. « Un couple d’instituteurs européens et un caïd sont abattus. Le même jour, dans toute l’Algérie, attentats et sabotages se multiplient. Plus qu’une simple flambée de terrorisme, c’était bel et bien le début d’une guerre difficile qui allait coûter cher à la France et porter le coup de grâce à la IVe République ». C’est en ces mots que le magazine, autrefois appelé, « La science et la vie » parlait de ce qui sera communément appelé la Toussaint rouge. On peut également y lire, le 1er novembre 1971, dans le cadre de la promotion de plusieurs volumes d’un livre intitulé « Le destin tragique de l’Algérie française » qu’il « Il n’y a pas si longtemps, les enfants apprenaient encore à l’école que l’Algérie était formée de trois départements français, avec chefs-lieux et sous-préfectures, tout comme l’Auvergne ou la Bretagne. Un million de ‘pieds-noirs’ s’y sentaient définitivement chez eux. Alors, que s’est-il passé pour qu’en quelques années Français et Algériens musulmans se séparent aussi irrémédiablement ? »
« Pouvait-on vraiment croire à la réalité d’une France ‘de Dunkerque à Tamanrasset’ ? »
Toujours dans « La science et la vie » et ce pour la publicité de l’ouvrage mentionné ci-dessus, on parle, après coup, d’une « impossible pacification » et d’ « accrochages meurtriers entre forces de l’ordre et ‘fellagas’ ». Puis, on peut lire « Paysans le jour, combattants la nuit, embusqués dans des caches de montagne connues d’eux seuls ou dans le dédale des médinas, les fellagas devaient mettre à rude épreuve le moral d’une armée qui se souvenait de l’Indochine… Pouvait-on vraiment croire à la réalité d’une France ‘de Dunkerque à Tamanrasset’ ? » Pour Mitterand, cela ne faisait aucun doute. Dans une allocution à l’Assemblée nationale, le 12 novembre 1954, en tant que ministre de l’Intérieur, il déclarait « L’Algérie, c’est la France (…). Des Flandres jusqu’au Congo, (…) partout la loi s’impose et cette loi est la loi française ; c’est celle que vous votez parce qu’il n’y a qu’un seul Parlement et qu’une seule nation dans les territoires d’outre-mer comme dans les départements d’Algérie comme dans la métropole ». Le même jour et toujours à l’Assemblée nationale, c’est cette fois-ci Pierre Mendès France, alors président du Conseil, qui affirmera « On ne transige pas lorsqu’il s’agit de défendre la paix intérieure de la nation, l’unité, l’intégrité de la République. Les départements français d’Algérie constituent une partie de la République française. Ils sont français depuis longtemps et d’une manière irrévocable ». Car oui, même si la conquête de l’Algérie par l’armée française de Charles X s’annonçait difficile en 1830 (ndlr : le 5 juillet a lieu la prise d’Alger), ce territoire est officiellement déclaré français le 4 novembre 1848 par un article de la Constitution de la IIe République. On peut lire dans son préambule que « La France s’est constituée en République. En adoptant cette forme définitive de gouvernement, elle s’est proposé pour but de marcher plus librement dans la voie du progrès et de la civilisation (…) ». Mais c’est seulement au « Chapitre X — Dispositions particulières » de cette constitution que l’on peut lire : « Article 109. – Le territoire de l’Algérie et des colonies est déclaré territoire français, et sera régi par des lois particulières jusqu’à ce qu’une loi spéciale les place sous le régime de la présente Constitution ». Le pays sera alors découpé en trois départements, à savoir, Oran, Alger et Constantine.
« Attentats hier à travers l’Algérie »
Dans l’édition du 2 novembre 1954 du quotidien Alger Républicain, on peut lire en Une « Attentats hier à travers l’Algérie », « Sept morts au total », « Attaque armée à Khenchela contre le poste de police », « Incendies de stock de liège à Azazga et de la coopérative d’agrumes de Boufarik », « Trois bombes incendiaires à Radio-Algérie ». On mentionne aussi l’« Envoi de forces de répression dans le Constantinois et les Aurès », des « arrestations arbitraires de militants progressistes comme à Batna, Khenchela, Biskra » et un couvre-feu effectif « depuis hier 20 heures » dans ces trois villes. Dans un « Tour d’horizon » et toujours en Une, l’Alger Républicain explique que « ni la politique de l’autruche ni celle de la mitrailleuse » ne régleront le « problème algérien », tant que l’existence ce dernier ne sera pas reconnue en tant que telle. Le quotidien persiste sur le fait que la solution de ce « problème » réside dans « la recherche d’une solution démocratique » et « dans la fin des méthodes de coercition et de répression ». Et d’ajouter « La sécurité, l’avenir de fraternité des Algériens, de tous les Algériens, ne peuvent être établis ni sur l’injustice ni sur la répression » puis de conclure, « À nous d’oeuvrer pour que des initiatives hardies soient prises dans la recherche de solutions réelles ». Des envoyés spéciaux du journal rendent compte de leur après-midi en Kabylie. Ils écrivent « À Tizi-Ouzou, où nous sommes à 17h15, la vie est normale. Les cafés regorgent de monde, la musique joue ». Et pourtant, « À 3h15, dans la nuit de dimanche (ndlr : 31 octobre 1954) à lundi (ndlr : 1er novembre 1954), des rafales de mitraillette ont été tirées sur la premier étage [de la gendarmerie] ». Sont dénombrées les traces de 47 balles, et est également mentionné « un incendie monstre [qui] éclairait tout le village [d’Azazga] ». Puis, on lit plus loin qu’ « à un kilomètre environ du village, sur la route d’Alger, un pylône des P.T.T. (ndlr : Postes, télégraphes et téléphones) a été scié à la base, coupant ainsi toute communication téléphonique avec la capitale. » On nous informe ensuite dans l’article que « Les attentats les plus nombreux ont été commis dans le sud du Constantinois et en particulier dans la région des Aurès ». « À Constantine, (…) des policiers armés de mitraillettes ont circulé durant toute la journée d’hier dans les rues de la ville. » « À Khenchela, la situation est très tendue (…) », « Des coups de feu, rafales de mitraillettes et de mitrailleuses, ainsi que des explosions plus fortes mais indéterminées (peut-être des grenades) se faisaient entendre autour des stationnements de troupes. En même temps, le poste de police était l’objet d’une attaque. Le planton de garde était surpris dans son sommeil, désarmé et enfermé en geôle. Les policiers qui venaient se renseigner étaient l’un après l’autre désarmés et enfermés ». « À Biskra, vers 2 heures, hier matin, plusieurs explosions ont réveillé les habitants tandis qu’une cinquantaine de coups de fusil étaient tirés en plusieurs points de la ville. » À Batna (…), une fusillade (…) a duré plus d’une heure » tandis qu’à Bougie (ndlr : Béjaïa) « toutes les polices, les gendarmes armés sont sur les dents. (…) La ville est sillonnée de patrouilles d’agents casqués et armés de mitraillettes. » Alors qu’à Sétif, « la situation est calme », en Oranie, à Mostaganem, « une fusillade fut tirée sur la gendarmerie ». Pour résumer, le gouvernement général communiquait qu’« Au cours de la nuit, en différents points du territoire algérien, mais plus particulièrement dans l’Est du département Constantinois et dans la région de l’Aurès, une trentaine d’attentats d’inégale gravité ont été commis par de petits groupes de terroristes. Un officier et deux soldats ont été assassinés à Khenchela et à Batna. Deux gardiens de nuit ont été tués en Kabylie. »
« Vague de terrorisme en Algérie »
En Une du Figaro du 2 novembre 1954, il est question dans les gros titres de « Vague de terrorisme en Algérie ». Le journal explique que « ces incidents multiples, particulièrement graves dans le département de Constantine, révèlent l’existence d’un plan précis d’action terroriste et une exécution ordonnée pour une heure exactement fixée à l’avance. » On peut encore lire dans les colonnes du Figaro, qu’ « Il y a une liaison entre les fellagha et les terroristes algériens ». Le quotidien va jusqu’à se demander « Action concertée à destination de l’O.N.U. ? » Et étaye son propos ainsi « Des tracts polycopiés, que les terroristes ont essayé de diffuser et placarder dans la nuit, portent le titre de ‘Front de Libération Nationale’ (ndlr : FLN), ‘Proclamation du peuple algérien sur militants de la cause nationale’. C’est une action révolutionnaire en vue de ‘l’indépendance dans le cadre nord-africain’. On y relève les expressions suivantes : ‘Déclenchement de l’action libératrice, appui diplomatique des pays arabes, unité d’action avec le Maroc et la Tunisie, internationalisation du problème algérien.’» Contrairement à l’Alger Républicain, le Figaro liste les noms des « victimes des attentats » et mentionne « de vastes opérations de police, auxquelles participent notamment trois bataillons de parachutistes et trois bataillons de C.R.S., [qui] se déroulent actuellement dans les régions où se sont produits les attentats. » Il est aussi noté que « des renforts de troupes arrivent en Algérie », plus précisément de Marseille et de Toulouse. Il est amusant de constater que le récit de ce qui a été longtemps qualifié comme de simples « événements » n’occupe que la moitié d’une page de l’édition du 2 novembre 1954 du Figaro et que l’autre moitié est dédiée à une publicité de vêtements vendus à la Samaritaine… France Soir titrait également le 2 novembre, « Brusque flambée terroriste en Algérie » et l’Echo d’Oran du même jour « Attentats terroristes sur le territoire algérien. Les actes criminels sont le fait de groupes isolés et partout l’ordre a été maintenu ». Le numéro de Paris-presse l’intransigeant, du 3 novembre, titre « Des renforts arrivent en Algérie » et souligne « 300 millions de dégâts » et « 900 C.R.S. et gardes mobiles [qui] ont débarqué ». On pouvait lire en Une du numéro du journal L’Echo d’Alger, du 7-8 novembre, les propos rapportés de Mitterand : « L’Algérie, c’est la France et la France ne reconnaîtra pas chez elle d’autre autorité que la sienne ». Puis, le quotidien sous-titre, « Chaque jour verra l’autorité de l’Etat s’affirmer davantage et le statut de l’Algérie entrera de plus en plus dans les faits ». D’ailleurs, il aura fallu attendre jusqu’au 18 octobre 1999 pour que le Parlement français adopte une loi pour introduire l’expression « guerre d’Algérie » dans les textes officiels, appellation volontairement honnie par la France d’alors. Pourquoi ? Parce que parler de guerre, c’est reconnaitre l’existence de « deux belligérants » et dans ce cas précis, de deux pays alors que pour Mendès France et Mitterand, pour ne citer qu’eux, l’Algérie ne pouvait être que française…
« Le groupe des six » chargé d’organiser l’insurrection armée du 31 octobre au 1er novembre 1954.
De gauche à droite et de haut en bas : Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Mourad Didouche, Mohammed Boudiaf, Krim Belkacem, Larbi Ben M’Hidi
À savoir : Le Front de Libération Nationale (FLN) regroupait le « groupe de l’intérieur » (opérations sur le territoire algérien) et « le groupe de l’extérieur » ( représenter et d’aider les combattants à distance). On parle du groupe des neuf « chefs historiques » : Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Mourad Didouche, Mohammed Boudiaf, Krim Belkacem, Larbi Ben M’Hidi, Hocine Aït-Ahmed, Mohamed Khider et Ahmed Ben Bella.