« Donnez-moi de la moulaga »
C’est le terme que les rappeurs cuisinent à toutes les sauces : moula, moulaga, moulax, mula… L’orthographe varie mais qu’en est-il du sens ? Le mot fera-t-il bientôt son entrée dans le Larousse ? Tant de questions et bien des réponses. Bienvenus dans le royaume de la moula.
Il y a quelques jours, Heuss l’enfoiré, a.k.a. King Moula ou encore George Moula, partageait sur son compte Instagram la capture d’écran d’un article du site Interlude. Dans ce papier, il était question de l’entrée dans le dictionnaire Larousse, version 2021, du terme moula et de son dérivé moulaga, synonymes d’argent en argot mais pas que. Spoiler alerte, il s’agit en réalité d’une fake news publiée par la rédaction à l’occasion du poisson d’avril et à priori la pêche a été plutôt bonne. Les commentaires en témoignent d’ailleurs puisque les félicitations fusent et on peut ainsi lire des « bravos », « c’est du génie » ou encore « maître Moula ». Notons que l’entrée d’un mot dans le Larousse ne se fait pas à la légère. Après une observation accrue de notre société et de l’actualité, une équipe désigne 500 mots. Ces derniers sont ensuite triés sur le volet pour aboutir à une sélection de 150 termes qui entreront finalement dans le dictionnaire. En France, ce n’est peut-être pas encore le tour du mot moula, que j’affectionne, mais chez nos amis anglo-saxons, « moolah », « mulah » ou encore « moola » ont déjà leur place dans les dicos.
« I got plenty of mullah »
Aucune certitude concernant les origines du terme moolah, qui signifie « money », soit argent, mais une chose est sûre, ce terme est apparu pour la première fois aux Etats-Unis dans les années 1930. L’une des premières occurrences survient, entre autres, en 1939 dans Designs in Scarlet (traduit en français en Étrange jeunesse américaine), un livre de Courtney Ryler Cooper. Le résumé est simple et concis : « A shocking exposé of the sinister forces that are menacing the Youth of America », à savoir, un exposé choquant des sombres forces qui menacent la jeunesse américaine. L’écrivain dont les livres avaient pour thème central le crime, a beaucoup écrit sur les dangers de la consommation de substances illicites comme la marijuana. Le lien avec la drogue est à garder en tête car il aura une importance toute particulière dans la suite de ce papier. La phrase en question, tirée du livre de Cooper, qui va venir étayer la définition première de mullah (= argent) est la suivante : « What about it, baby, is it my fault I forgot my wallet ? I got plenty of mullah ». « C’est de ma faute si j’ai oublié mon porte-monnaie, bébé ? J’ai plein de moula », comprendre, ici, plein d’argent. Mullah serait donc un des termes, en argot, pour définir l’argent. Mais d’où vient ce terme au juste ?
Le moulin ou la mule ?
Maintenant que l’on situe à peu près l’apparition de ce mot, place à son sens et à sa potentielle étymologie. Plusieurs personnes avancent que le terme « moolah » dériverait du français « moulin » (mill en anglais), le lieu où l’on fabrique le blé, synonyme aujourd’hui du terme argent et parfois monnaie d’échange à l’époque. Cette hypothèse est plaisante mais il n’y a malheureusement aucun moyen de la vérifier. D’autre part, un certain David Cassidy, connu pour son livre The secret language of the crossroads : How the Irish invented slang, un livre sur l’argot donc, avance que le terme « moolah » viendrait de l’irlandais « moll oir », à savoir « pile of gold », autrement dit un tas, voire un amas d’or. Le souci ? La prononciation qui ne ressemble en rien à celle de moolah et qui rend donc cette seconde théorie très peu plausible. Une autre hypothèse, proposée sur internet, soutient que le terme moolah serait issu de l’espagnol « mula », autrement dit mule qui, il fut un temps, était, tout comme le blé, une monnaie d’échange. On peut d’ailleurs penser, par extension, à la personne qui transporte l’argent et la drogue. Au Venezuela, « Bajate de la mula », a pour sens premier « Descends de la mule » mais peut aussi être une façon familière de demander à quelqu’un de payer ce qu’il doit. On retrouve donc l’idée d’argent. Aurait-on enfin trouvé l’étymologie de ce mot tant utilisé ? Notre développement s’arrêterait-il ici ? Négatif. Il semblerait que le chronologie ne puisse pas correspondre puisqu’un dictionnaire vénézuélien fixe la naissance de cette expression aux années 1980 alors que comme on l’a expliqué précédemment le terme fait son apparition à la fin des années 1930. C’est dommage car cette explication revêtait bien les deux sens actuels du terme moula, à savoir l’argent et la drogue.
« C’est nous les grosses moulas »
On en arrive enfin à l’usage du terme moula dans l’Hexagone. On en profitera quand même pour citer brièvement, en outre-Atlantique, quelques rappeurs (la liste n’est pas exhaustive) qui ont eux aussi utilisé ce mot dans leurs créations : Notorious B.I.G., Dr. Dre, Rick Ross, Kanye West ou encore Lil Wayne qui surnomme parfois son label de musique (Young money) Young Moulah. En France, la moula est polysémique, puisqu’elle ne signifie plus seulement argent mais aussi drogue au sens large du terme et plus précisément cannabis, shit ou beuh. On pourra bien évidemment trouver des termes dérivés comme moulax ou encore moulaga, popularisés par le rappeur Heuss l’Enfoiré. Vous l’aurez compris le rappeur des Hauts-de-Seine n’a pas inventé ce terme mais a énormément contribué à se remise au goût du jour. Avant lui, c’est le célèbre Akhenaton qui l’utilisa dans son morceau « J’ai pas la face », sorti en 1995. Il chantait « J’suis dans la dance khouya. Que pour la moula-ia ». L’argent. En 2012, c’est Booba qui le ressort dans son titre « Caramel » : « C’est pas halal tout ça, c’est pas halal. J’dois faire du biff, de la moula, du caramel ». Il ajoute, « J’ai de la fraîche, de la moula, du caramel », allusions à la drogue et à l’argent sale. Le rappeur MHD lui emboîte le pas et intitule deux de ces titres « La moula » et « Moula gang ». On citera, entre autres, cette phrase extraite de Afro trap, part 1, « T’as fumé ma moula t’as toussé ». Inutile de vous faire un dessin, il est bien question ici de cannabis. On en revient alors à Heuss l’Enfoiré qui vient confirmer la polysémie du terme moula à travers ses différentes chansons. Parmi les passages les plus marquants de ces titres, dans lesquels il emploie pratiquement tout le temps ce mot, on mentionnera : « Donnez-moi de la moulaga », « J’fume que d’la moulax » et « J’suis tellement une moula » dans « Moulaga », son featuring avec Jul. Mais aussi, « La moula, la monnaie et l’argent sale nous a maudits » dans « George Moula » avec Koba LaD; « Elle est où la moulaga ? Grosse moula teh Bogota » dans son titre Aristocrate. D’autres occurrences sont aussi présentes dans des titres comme « Ne reviens pas » avec Gradur, « Khapta » feat Fianso, « La Kichta » en duo avec Soolking, « Dans mon délire » avec ce dernier et Black M, et dans son morceau « Les méchants ». Il n’est bien sûr pas le seul à employer ce terme puisqu’on peut aussi penser à Vegedream et son titre « la moula » ou Maes avec sa « mula cellophanée » dans son titre « Mula ». En somme, et ce en fonction du contexte dans lequel le terme est employé, on peut vouloir « faire de la moula », donc gagner de l’argent; on peut « fumer de la moulax« , c’est-à-dire fumer du shit et l’ajout du « x » final pourrait peut-être même souligner la qualité du cannabis; on peut soi-même être une moula (« J’suis une moula, j’suis en esprit », Heuss l’Enfoiré dans « En esprit »); on peut te mettre ta moula, à savoir te régler ton compte et on peut également qualifier une bonne ambiance en parlant de grosse moula. Et comme chantait Booba, « Ma question préférée, qu’est-ce je vais faire de tout cet oseille? »
Crédits photo : Capture d’écran du clip Aristocrate de Heuss l’Enfoiré