« Inchallah un fils » ou l’antithèse de la veuve éplorée
Inchallah un fils, le premier long-métrage du réalisateur Amjad Al Rasheed, nous montre une facette de la société jordanienne à travers le personnage de Nawal qui vient de perdre son mari et va devoir se battre, coûte que coûte, pour faire valoir ses droits. Une histoire loin d’être misérabiliste.
« Quand une femme perd son mari, elle perd son amant, son partenaire, tout dans sa vie », lance une femme venue faire les condoléances à Nawal dont le mari est mort la nuit dernière dans son sommeil. Ce couple d’Amman, qui tentait difficilement d’avoir un deuxième enfant, est coupé net dans ses projets d’avenir. On se dit au début que c’est la vie et puis que Nawal est déjà maman de l’adorable petite Noura. Quand les personnes venues lui faire leurs condoléances, pour le décès d’Ahmad, s’en vont, la trentenaire en deuil pense qu’elle est au bout de ses peines et elle est loin de deviner le scénario qui l’attend…
En effet, pas d’assurance vie à empocher ou d’héritage bien caché. Nawal hérite de leur appartement ainsi que du pick-up, garé en bas de son immeuble, qu’elle ne sait pas (encore) conduire. Un premier parallèle peut d’ailleurs être fait entre une scène du début du film d’Amjad Al Rasheed, où l’on voit Nawal à une fenêtre de son appartement agrémentée de barreaux. La voiture, moyen de locomotion qui permet une certaine indépendance et autonomie est garée juste en face et peut donc être vue comme une source potentielle d’émancipation. Nawal ne semble pas avoir une vie palpitante. Du travail, qu’elle effectue en tant qu’auxiliaire de vie chez une riche personne âgée, elle récupère sa fille chez la voisine, puis rentre à la maison. C’est déjà l’heure du dîner et rebelotte le lendemain. Une routine bien huilée à laquelle s’est mêlé, contre son gré, le feu de Rifqi, le frère de son mari, venu lui faire savoir, la loi jordanienne à l’appui, qu’il a, lui aussi, droit à une part d’héritage puisque son frère n’a pas eu de fils avec Nawal.
Une dette en héritage
Cette dernière pourrait choisir de s’apitoyer sur son sort mais elle préfère se battre pour faire valoir ses droits, surtout que l’apport pour l’appartement a été fourni grâce à la vente de ses bijoux et qu’elle payait également les mensualités avec son mari. Le hic ? Le document censé prouver qu’elle dit vrai n’a pas été signé par son conjoint… La jeune femme n’aura donc pas la loi de son côté, contrairement à son beau-frère. On se met alors dans la peau de Nawal, qui nous donne à son insu une leçon pour assurer nos arrières, et on embrasse la réalité de cette femme qui doit trouver une solution au plus vite pour ne pas avoir à partager le maigre héritage qu’elle elle a participé à bâtir. Seulement voilà, Rifqi la presse et souhaite qu’elle vende le pick-up afin de le rembourser de ce que son frère lui devait. Elle lui assure qu’elle n’était pas au courant des dettes de son mari mais rien n’y fait. Sur de fond de menaces de lui retirer la garde de sa fille, s’il parvient à prouver qu’elle n’est plus capable de subvenir à ses besoins, Nawal doit ruser.
Inchallah un fils
Pour se sortir de la panade, elle décide de mentir et de dire qu’elle est enceinte. Une façon pour elle de gagner du temps afin de réunir la somme correspondant à la dette dont elle a hérité et qu’elle doit désormais à son beau-frère. Hors de question de vendre le pick-up qu’elle rêve de pouvoir conduire. Nawal fait un premier test de grossesse et il est négatif… Ses espoirs tombent à l’eau, à moins que Lauren, la petite-fille enceinte de la personne âgée dont elle s’occupe ne veuille bien se rendre avec elle afin d’effectuer un test de grossesse à sa place. Les deux jeunes femmes passent un marché. Si Nawal veut que Lauren s’exécute, elle devra lui trouver un moyen d’avorter car elle ne souhaite pas avoir d’enfant avec son mari qui la trompe. Le personnage de Lauren est interessant car il montre que même si elle vient d’un milieu aisé, sa situation n’est pas forcément meilleure que celle de Nawal. En effet, la mère de Lauren refuse qu’elle divorce car elle considère que ce serait une honte et un échec.
Le test de grossesse positif effectué par Lauren, Nawal l’apporte au tribunal en pensant être tirée d’affaire au moins pour neuf mois, le temps de savoir si elle accouche d’un garçon. On est soulagé derrière l’écran et puis finalement, non. Il lui est demandé de se rendre dans un laboratoire assermenté afin de refaire un test de grossesse. Panique à bord. On s’imagine à sa place et on se demande bien comment elle va pouvoir s’en sortir cette fois-ci… On ne vous en dira pas davantage afin que vous puissiez, vous aussi, être surpris par l’issue de ce film pour Nawal et Noura.
Cela dit, on peut quand même vous indiquer, même si vous l’aurez compris au fil des lignes, que l’on a vraiment apprécié ce long-métrage récompensé du Prix à la diffusion de la Fondation Gan pour le cinéma lors de la Semaine de la critique, à Cannes, en mai 2023. Amjad el Rasheed est parvenu à raconter la réalité de cette femme sans tomber dans le misérabilisme et la victimisation. Au contraire, le réalisateur jordanien a réussi à nous tenir en haleine jusqu’au bout sans que l’on ressente de la pitié mais plutôt de la colère. La colère d’une injustice certes ici sujette à fiction mais qui existe également bel et bien dans la réalité. Enfin, l’interprétation de Mouna Hawa dans le rôle de Nawal permet de sceller la crédibilité de ce film qui nous donne presque l’impression de vivre cette histoire avec elle. Tout ce qu’on peut souhaiter à cette veuve loin d’être éplorée, c’est « Inchallah un fils ».
En salles dès mercredi 6 mars.
Crédits photos : Pyramide International
Amir
Excellent article bravo encore une fois