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L’Institut des Cultures de l’Islam part au détour du quartier de la Goutte d’Or dans sa nouvelle exposition

Du 3 juin au 30 juillet 2023, l’Institut des Cultures de l’Islam (ICI) nous emmène aux « Détours d’un quartier monde » qui n’est autre que celui de la Goutte d’Or. Vidéo, calligraphie, installation, sérigraphie, dessins, peintures et photographies nous offrent un autre regard sur ce quartier populaire.  

Invitée à la présentation presse de l’exposition baptisée « Détours d’un quartier monde », je marche vers l’Institut des Cultures de l’Islam. Sur mon chemin, mon regard s’arrête sur des boutiques, l’une d’entre elles se veut même être une parapharmacie, qui vendent des produits qui éclaircissent la peau. En vitrine, trônent fièrement des savons « purifiants éclaircissants », des crèmes « éclaircissantes » et d’autres carrément « blanchissantes » avec une « concentration maximale », à en croire ce que l’on peut lire sur le packaging. Je ne pensais pas que quelques minutes plus tard je découvrirais, entre autres, une œuvre de Native Maqari qui fustigerait justement l’existence de ce genre de « poison »

Une initiative honorable 

Le projet de « Détours d’un quartier monde » prend racine fin 2021. Le but ? « Partir à la rencontre d’artistes du quartier de la Goutte d’Or », nous explique Simon Rouby, l’un des commissaires de l’exposition et artiste pluridisciplinaire qui conjugue, notamment, sculpture, installation vidéo et performance. La Goutte d’Or, c’est un quartier dans lequel le monde entier est représenté mais qui, hélas, est parfois précédé d’une mauvaise réputation. Par exemple ? Vous étiez peut-être trop jeunes à l’époque mais « Le bruit et l’odeur », célèbre phrase prononcée sans vergogne par Jacques Chirac en 1991 lui est venue après une visite, avec Alain Juppé, dans ce quartier… L’ex-président du parti Rassemblement pour la République avait, à l’époque, déclaré : « Le travailleur qui habite à la Goutte d’Or et travaille avec sa femme pour gagner environ 15 000 francs […] Sur son palier d’HLM, ledit travailleur voit une famille entassée avec le père, trois ou quatre épouses et une vingtaine de gosses, qui touche 50 000 francs de prestations sociales sans, naturellement, travailler […] Si vous ajoutez à cela le bruit et l’odeur, le travailleur français, sur le palier, il devient fou ». Pourquoi je vous mentionne tout ça ? Parce qu’on a l’habitude d’entendre parler de manière négative de ce quartier et que je trouve l’initiative de l’exposition, présentée depuis le 3 juin dernier par l’Institut des Cultures de l’Islam (ICI), honorable.  

Du 3 juin au 30 juillet 2023 donc, Smaïl Kanouté, Simon Rouby et Native Maqari, lauréats du programme Mondes nouveaux, présentent à l’ICI l’exposition « Détours d’un quartier monde ». Confinés, en raison de la crise sanitaire liée au COVID-19, à la Goutte d’Or et empêchés de voyager aux quatre coins du monde comme ils avaient l’habitude, ils décident d’ouvrir les yeux sur ce qui les entoure : les rues de cette fameuse Goutte d’Or. L’ICI présente ainsi cette initiative : « La cohésion sociale est inhérente à la diversité culturelle, la créativité nait de la contrainte et le quotidien est rythmé par l’inattendu, dans un tremblement permanent des certitudes. Loin des bureaux des théoriciens du vivre-ensemble, la vie s’organise de manière spontanée et se nourrit des expériences individuelles pour former un collectif conscient ». De cette prise de conscience, s’en est suivie l’invitation des artistes Cebos Nalcakan, Elsa Noyons et Sifat Quazi qui habitent ou ont habité le quartier. 

L’expo débute avec trois oeuvres de Sifat Quazi, une artiste d’origine bangladaise qui vit en France depuis 1991. Elle propose deux fresques et une sculpture baptisée Palabres, oeuvre en bas-relief inédite pour Sifat qui, de son propre aveu, n’avait encore jamais travaillé le métal. Une réussite. Quant à ses fresques, elle explique que le choix des nombreuses teintes est une manière de justement mettre en avant « l’interculturalité et les couleurs du quartier ». Sifat Quazi va même jusqu’à nous parler d’une « esthétique au croisement de plusieurs cultures ». À l’étage, on se retrouve face au travail de Native Maqari, artiste co-commissaire avec Smaïl Kanouté et Simon Rouby de l’exposition. Né au Nigeria en 1980, Native Maqari immigre enfant à Brooklyn. Il touche au graffiti mais aussi à la calligraphie arabe qu’il a étudiée avec la littérature comparative. Le dessinateur et peintre, qui vit actuellement à Paris, a présenté son travail à travers le monde, et notamment en Algérie où son installation Conference of the birds se trouve encore dans les jardins de Jannat Arif à Mostaghanem. 

« Poison and medicine, right in front of each other »

L’important pour l’artiste, ce n’est pas tant le moyen par lequel il va transmettre son message qui va primer mais plutôt le sens qu’il donnera à son oeuvre. Ainsi, on a pu découvrir une installation de 23 plantes médicinales avec lesquelles il a « grandi » dans le Sahel, comme il nous l’a indiqué, et une seule provenant du quartier de la Goutte d’Or. L’oeuvre ne s’arrête pas là car sur le même meuble, on retrouve des produits censés éclaircir la peau noire… Son but ? Evoquer, entre autres, la « crise identitaire noire ». Native Maqari a donc décidé d’opposer médecine alternative, « beaucoup liée à l’identité » comme il l’a souligné, à des produits présentés « selon les canons de beauté blancs ». « B-white », « 2 jours propre », « Pure white », peut-on lire sur les packagings… Les messages sont plus surprenants les uns que les autres et l’artiste a tenté ainsi d’en montrer « la violence muette ». Une oeuvre marquante qu’il explique ainsi : « Poison and medicine, right in front of each other ». On n’aurait pas mieux résumé. 

« Comment un lieu nous transforme »

Place ensuite à Fragments, fruit du travail, de Simon Rouby et Cebos Nalcakan. Photographe franco-turc né en 1990, ce dernier commence à immortaliser le quartier de la Goutte d’Or vers l’âge de 13 ans. Les deux artistes ont choisi d’opter pour de la photogrammétrie, « une technique de mesure qui consiste à déterminer la forme, les dimensions et la situation d’un objet dans l’espace à partir de plusieurs prises de vues photographiques de cet objet ». Ils ont, entre autres, choisi de rendre hommage à L’Olympic, un café et « lieu de vie dans ce quartier multiculturel qu’est la Goutte d’Or ». Cebos Nalcakan expose également certaines de ses photos prises dans le quartier comme celle de la rue de Gardes, issue de sa série intitulée Paris Bezbar. On évitera de tout vous spoiler et on continue notre visite avec les cartes d’Elsa Noyon, artiste chercheuse, née à Amsterdam en 1988 et basée à Marseille. Son travail est en majeure partie axé autour des thèmes de l’habitat, mais aussi de de la relation que nous entretenons avec un territoire. « Sa démarche artistique s’ancre dans un travail de recherche et de compréhension des lieux dans lesquels elle s’aventure », nous explique-t-on. Elle a vécu à la Goutte d’Or et souhaitait, à travers l’exposition de certaines de ses cartes sur ce quartier monde, montrer « comment un lieu nous transforme ». Elle nous confiait : « Il y avait tellement de choses qui cohabitaient dans ce quartier et auxquelles je n’avais pas accès ». Parmi ses cartes présentées, on en retrouve qui regroupent une bonne partie des associations présentes à la Goutte d’Or, les ateliers et lieux culturels ou encore… les lieux stratégiques de la Commune de Paris (mars 1871). 

On passe enfin à l’autre bâtiment de l’ICI, situé, lui, rue Léon, toujours dans le XVIIIè arrondissement de Paris. L’accent est, cette fois-ci, davantage mis sur le travail de Smaïl Kanouté, lui aussi co-commissaire de l’exposition. « Choré-graphiste », Smaïl parle de sujets sociaux à travers ses court-métrages, ses spectacles de danse ainsi que ses œuvres visuelles qui lui permettent de créer de nouveaux imaginaires en mettant en avant l’interculturalité, sujet central de cette exposition. On découvre  alors ses sérigraphies sur papier, dont Afronippōn ainsi que des vidéos. Le but de cette seconde partie est de présenter « un nouvel imaginaire, à l’intersection des recherches [de Smaïl Kanouté, Simon Rouby et Native Maqari] sur l’expérience noire et la migration ». Le temps d’une exposition, la figure du samouraï noir Yasuke Kurosan permet, en plein quartier de la Goutte d’Or, de rapprocher des espaces géographiquement éloignés, entre Afrique subsaharienne et Japon. 

Détours d’un quartier monde du 3 juin au 30 juillet 2023 à l’Institut des cultures de l’Islam (ICI Stephenson : 56, rue Stephenson – 75018 Paris/ ICI Léon : 19, rue Léon – 75018 Paris).  Entrée libre. Du mardi au dimanche de 11h à 19h et le vendredi de 16h à 20h

Crédit Une : Série : Paris Bezbar – Rue de Gardes, 75018 – 18/08/22 (2022) de Cebos Nalcakan. Tirage fine art contrecollé sur Dibond

Journaliste et fondatrice de thedaybriefing.com

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