« Vivre de littérature, d’art et d’eau fraîche » : Yanis Ratbi se dessine derrière Syncretical
J’ai virtuellement rencontré Yanis en janvier 2021 lors d’un live sur sa page Instagram baptisée Syncretical. Le thème ? Les Djinns. Alors oui, c’est certes une drôle de façon de faire connaissance mais je n’ai pas cessé de suivre son travail depuis. J’apprécie énormément son univers et je souhaite vous faire découvrir aujourd’hui, un peu plus, le talentueux jeune homme qui se cache derrière ces créations visuelles qu’il qualifie de « futuristes syncrétiques ».
À travers son compte Instagram, Yanis, 27 ans depuis hier, samedi 4 mars (soyons précis), propose de revisiter les mythes antiques et de se ré-approprier ses identités en remixant le tout avec la pop culture. Entre visuels et poésie, tout le monde y trouve son compte et s’engouffre dans la brèche artistique initiée par le jeune homme. Mon explication est peut-être abstraite et c’est pour cette raison que je souhaite, à travers ce portrait, vous permettre de comprendre la genèse de ce projet, son interêt et surtout en savoir un peu plus sur celui qui se cache derrière. J’ai d’abord rencontré Yanis virtuellement sur Instagram en janvier 2021. On se suivait mutuellement sur nos réseaux respectifs et c’est lors d’un live, qu’il a organisé sur Syncretical, que la connexion a opéré.
Le thème abordé ? Les Djinns… ces créatures surnaturelles invisibles pour nous humains et qui en terrorisent plus d’un. J’avais bien évidemment de nombreuses histoires farfelues à raconter et c’est ainsi, en amusant la galerie et en l’effrayant quelque peu, que nous avons commencé à véritablement échanger. Au fil du temps et surtout ces derniers mois, j’ai confié à Yanis mon souhait de rédiger son portrait car je trouvais sympa l’idée de pouvoir mettre son art en lumière et de permettre, peut-être, à certains de le découvrir. On avait convenu d’un endroit où bruncher vers École Militaire, dans le 7ème arrondissement de Paris, mais c’était sans compter sur la hype du lieu qui a eu raison de notre patience et a fait que nous nous sommes rabattus sur… le McDonalds de la Motte-Picquet Grenelle. On est donc parti sur 1h44 de discussion autour de nos savoureux menus Filet-O-Fish.
« J’aimerais vivre de littérature, d’art et d’eau fraîche »
Le souci avec les réseaux sociaux, c’est qu’on fait plein de e-rencontres sans jamais vraiment faire connaissance et c’était le cas avec Yanis. Consultant en innovation et transformation des organisations, il m’explique que son métier consiste à accompagner les entreprises quand elles veulent concevoir un nouveau produit, un nouveau service… Il se souvient qu’à la base, il voulait faire médecine « mais ligaments croisés, tu connais ». Je plaisante. La citation n’est pas de lui mais bien trouvée sur Twitter. Pourquoi avoir abandonné ce projet de devenir pharmacien ou pédiatre ? « Je tiens à la vie plus que de sauver des vies », me répond-il avec humour. Yanis a préféré préserver sa santé mentale et il a probablement eu raison. À ce sujet d’ailleurs, il m’explique que s’il avait fait médecine, ça aurait impliqué de faire le même métier toute sa vie et ça, c’était inconcevable pour lui. « Avec mon métier actuel, si je veux demain je change de voie. Je sais que le métier que je fais, je ne le ferai pas toute ma vie », me confie-t-il
S’il envisage de vivre un jour de son art ? Il lâche une punchline : « À terme, j’aimerais vivre de littérature, d’art et d’eau fraîche ». Il n’a peut-être encore jamais travaillé dans le milieu culturel mais il y pense franchement même s’il m’avoue qu’il est quelque peu sceptique car dans ce domaine, on n’est pas forcément le mieux payé du marché du travail. Il lance son compte Syncretical en 2019 et disons que l’idée lui est plutôt venue comme une évidence. « De base j’ai toujours apprécié ce qui touchait à l’art, j’ai pris des cours de dessin à l’atelier des Beaux-arts de Paris. À coté de ça, je commençais Photoshop et au début j’étais seulement sur un délire d’essayer de faire des collages », débute-il. Et de préciser : « Le premier collage, je voulais le faire avec une statue grecque antique et la mélanger avec quelque chose issu du monde arabe. Au début je publiais mes collages sur mon compte perso et au bout du troisième, je me suis dit qu’il fallait créer une distinction. À l’origine, c’était pas forcément sérieux, je voulais juste alimenter une pratique artistique en ayant un cadre qui me donne envie de m’améliorer ».
Pour le jeune homme de 27 ans, son compte Instagram Syncretical est aussi un moyen de développer des compétences à côté de son travail, ce qui le motive, à chaque fois, à garder le rythme en publiant ses créations. Il souligne : « Je voulais que Syncretical soit mon alter-ego, passer de Yanis à Younisse ». Ce projet, qui partait donc d’une envie de se créer une sorte de laboratoire en ligne, de lieu numérique où faire ses armes, est finalement si précieux pour Yanis qu’il a pensé à l’utiliser pour un potentiel doctorat. Pile au moment de la première vague du COVID, il se lance dans une licence d’humanité à Nanterre, en parallèle de son emploi. « J’étais dans une optique d’en apprendre davantage sur la mythologie. Je m’étais dit que j’irai même jusqu’à faire un doctorat dans cette spécialité et que Syncretical serait justement mon projet d’étude », m’explique celui qui anime les clubs de lecture du média Arabia Vox.
Il finira par abandonner faute de temps mais ne baissera pas pour autant les bras pour en apprendre davantage. Le syncrétisme, selon notre ami Google, est « une combinaison de doctrines, de systèmes initialement incompatibles ». Avec son compte Instagram, il tente justement de lier les cultures. Par exemple ? En créant des ponts entre les cultures berbère et grecque. « Quand j’ai commencé Syncretical, j’étais complètement déconnecté de ma culture Amazigh et c’était un moyen pour moi de renouer avec ça et de mélanger mes cultures. En cherchant dans tout ce qui est mythologie, je me suis rendu compte qu’il y avait des moments de la mythologie grecque qui se passent en Afrique du Nord. Il y a plein de croisements et il y a plein de divinités grecques qui sont d’origine nord-africaine », développe-t-il. Puis de détailler : « J’ai donc voulu me ré-approprier ça en choisissant des personnages emblématiques de la mythologie grecque que je pourrais relier à d’autres personnages nord-africains. Dans chacun des petits textes qui accompagnent les visuels, je me sers de diverses références pour raconter une nouvelle histoire ».
« Mon lien avec le Maroc est particulier »
Comme dans chacun de mes portraits, j’aime creuser le côté « identitaire » de la personne avec qui je discute car je considère qu’il mérite un immense intérêt tant il dit de choses à notre sujet. Yanis est marocain et il me précise que côté maternel, il est originaire de Fès, même si originellement ses grand-parents viennent plutôt du sud du Maroc. Il souligne : « Mon grand-père, c’est vraiment un mec du désert ». « Du côté de mon père, on est rifains et de Nador. On est sur un melting pot du Maroc. Le côté rifain, je ne le connais pas trop en réalité. Je creuse d’ailleurs un petit peu en ce moment et j’ai découvert, par exemple, que ma grand-mère a des soeurs qui vivent en Algérie », ajoute-il pour tenter de calmer ma curiosité. Mais alors quels rapports entretient-il avec le pays d’Abdelkrim El Khattabi ?
« Mon lien avec le Maroc est particulier. Quand j’étais plus jeune on n’avait pas souvent les moyens d’aller au Maroc. Depuis ma naissance, je crois que j’ai dû y aller sept fois, dont deux fois où je l’ai fait solo en étant adulte », commence le consultant en innovation et transformation des organisations. Il m’avoue que « Quand tu découvres cette terre dont tu es originaire, c’est magnifique ». Pour la petite histoire, ce sont ses grand-parents qui sont venus en France. Ses parents ont donc grandi ici et il regrette qu’il y ait « un lien un peu moins fort avec le Maroc », qui aurait peut-être pu existé s’ils étaient nés de l’autre côté de la Méditerranée. « Culturellement, on vit comme si on était à 100% marocains mais pour moi la culture passe aussi par la langue et il me manque une connexion. On n’est pas en Bluetooth là, on est en infrarouge », ironise-t-il. Pour la petite blague très old school, que seuls les anciens (oui, j’abuse) comprendront sans explication, l’infrarouge était une technologie très répandue dans les années 90 et début des années 2000, surtout sur les téléphones pour effectuer des transferts, de photos par exemple, entre deux périphériques. Pour vous la faire courte, c’est un peu l’ancêtre du Air drop d’Apple.
Yanis qui s’est récemment rendu au Maroc, avec son frère jumeau Yassine, m’explique que ce voyage a eu « une saveur un peu différente puisque c’était sans [ses] parents ». Plus jeune, il était inconcevable pour lui de s’y rendre sans eux car c’est un voyage que l’on fait habituellement en famille. « Et c’est tout bête mais le fait de voir des gens qui te ressemblent, tu te dis que c’est bon, tu te sens chez toi, tu n’as plus de gêne et tu décomplexes à l’idée d’y aller seul », analyse-t-il. Avec Syncretical, Yanis veut aussi mettre en avant ces questions qu’il se pose sur son identité et la réalité que c’est d’être né et d’avoir grandi en France quand on a une autre origine. Son ambition ? « Je veux démontrer qu’on n’est pas l’un ou l’autre mais la composition de tout. Il y a ce côté un peu futuriste de dire qu’on est des aliens, on a une identité un peu à part et parfois, certains n’arrivent pas à intégrer le fait qu’il est possible de composer avec tout, surtout quand on se rend compte que tout est croisé culturellement… Pour moi, l’objectif c’est de surprendre en mélangeant deux choses que l’on ne s’attend pas forcément à voir ensemble mais qui sont pourtant liées… Quand je passe par les mythes, c’est aussi pour montrer que les contes, les histoires, les légendes, sont parfois les mêmes et juste racontées différemment ».
Aller dans un musée, une sortie « au même niveau que Disneyland »
Très jeune, Yanis est sensibilisé à l’art grâce à ses parents. Il est catégorique : « Pour moi, aller dans un musée quand j’étais petit, c’était une sortie de ouf, au même niveau que Disneyland. L’art a toujours été important mais je voyais ça comme un luxe à l’époque. J’ai toujours été quelqu’un de très créatif et curieux ». Internet lui permet certes d’abreuver sa soif de culture mais sa maman n’est jamais trop loin. « Ma mère a toujours tenu à développer notre côté culturel. Quand on était petits, elle nous avait pris un abonnement pour recevoir des fiches à la maison afin de confectionner, une fois toutes les fiches réunies, une sorte d’encyclopédie. (…) Je n’étais même pas encore arrivé au collège que j’avais déjà fait tous les musées de Paris alors que dans ma classe, pratiquement personne ne les avait fait. J’ai vu ça comme une chance et c’est vraiment ma mère qui a fait cet effort », souligne celui qui a lancé le podcast A priori avec son frère Yassine et Sumintra, l’une de ses meilleures amies.
Depuis la création de sa page Instagram en 2019, beaucoup de choses ont changé. Deux de ses oeuvres ont été exposées dans une galerie d’art à Athènes et Yanis aimerait, dans un futur proche, exposer son travail à Paris mais plutôt en vidéo et en musique, qui se prêteront mieux au format de ses oeuvres. Il a aussi créé la couverture de deux livres d’un écrivain connu sous le nom de Karim Auteur sur Instagram et a également lancé des t-shirts avec trois de ses visuels phares. Sur ce dernier point, il m’explique ainsi sa démarche : « J’ai choisi ce support-là car je considère que le vêtement montre une partie de ton identité et de ta différence. Je vois ça comme une affirmation de soi et une manière originale de représenter Syncretical en transmettant un message à travers le petit texte, lui aussi, imprimé sur le t-shirt ». Ma création favorite ? Khelti (tante) Circée et sa main parsemée de henné que je vous invite à découvrir aux côtés de 3ami (oncle) Héraclès et Khelti Nyx.
Pour retrouver les créations de Yanis sur Instagram, c’est ici et pour vous offrir ces t-shirts, c’est par-là.